
Accueil
Fanfictions
Auteurs
Le Film Resident Evil
Resident Evil Gaiden
Wesker's Report II
Liens
About Me
Contact
| |
Un
site francophone dédié aux Fanfictions
Resident Evil -
Genesis - Chapitres 5 à 8
Auteur :
Nassar
Genre : Épouvante/Action/Aventure -
10 chapitres - Non finie
Date de parution : 2002
Chapitre
5
Alice regarde l’homme
de la photo de mariage. Cette photo vue dans la salle à manger du manoir où
ils rayonnent de bonheur, elle sous son voile blanc, lui dans son costume
gris-bleu, souriant au-dessus de son nœud papillon. Elle observe attentivement
son époux et échoue à deviner ce qui les lie, à se souvenir de lui. Il porte
une alliance en or, tout comme elle. Exactement le même modèle. Elle retire la
sienne et la fait tourner entre le pouce et l’index. Quatre mots ont été
gravés dans le métal précieux « propriété de Umbrella Corporation ».
«
Stolmaïer, regarde comment va notre invité surprise », ordonne Wayne. La
toubib s’approche du mari d’Alice. A force d’observations, cette dernière
sait maintenant reconnaître les sept membres de l’équipe : Rain, la
rebelle qui a de bonnes connaissances en mécanique ; Kaplan l’officier
en second, spécialiste de tout ce qui concerne les ordinateurs, les systèmes
de sécurité et les serrures électroniques ; Jumpy, le rouleur de mécaniques ;
Wayne, l’officier en charge de la mission ; Goerden, timide mais extrêmement
impressionnant avec sa carrure de boxeur poids lourd ; et enfin Pinker, son
compagnon de tous les instants. Au sein de cette équipe, Stolmaïer, semble la
moins entraînée, la moins athlétique. Une pièce rapportée ? Stolmaïer
se penche sur le mari d’Alice. Ce dernier sort peu à peu de l’inconscience.
Elle utilise l’objet qu’elle vient de prendre dans son sac pour lui prélever
une goutte de sang. Tous les voyants de l’appareil passent au vert.
Visiblement soulagée, elle fait un signe de tête encourageant à Wayne. Elle
glisse le pistolet à prélèvement dans une des grandes poches de sa
combinaison et tire son sac vers elle pour y prendre quelque chose. Accroupie à
côté du beau brun mystère, elle promène sous ses narines une éprouvette
dont elle a dévissé le bouchon. Il sort de sa torpeur, pousse une sorte de
geignement de protestation et éloigne l’éprouvette de son visage d’un
geste brusque.
« Restez à terre pour le moment, prenez le temps de respirer profondément »,
lui conseille Stolmaïer avant de sortir sa lampe-torche et de l’allumer.
« Suivez la lumière. »
Le mari d’Alice écarte la lampe-torche de la même façon qu’il s’est débarrassé
de l’éprouvette. Stolmaïer lui montre sa main droite, après avoir replié
l’auriculaire et l’annulaire.
« Combien de doigts ?
- Trois.
- O.K. Levez votre main gauche et dites-moi votre nom...
- Je…Je ne sais pas.
- Il est un peu désorienté, mais en parfaite condition physique. Il a perdu la
mémoire, tout comme la fille. »
Alice remet en place son alliance et observe à nouveau l’homme qui est à
terre, ce beau gosse avec qui elle est censée s’être liée à jamais, pour le
meilleur et pour le pire.
« Laisse tomber l’anneau, petit chaperon rouge, lui murmure Jumpy à
l’oreille. C’est pas vraiment ton mari.
- Quoi ? »
Jumpy se désintéresse d’elle et reprend sa position dans le wagon. Le
vacarme produit par le train a diminué. La rame ralentit.
« On arrive ! hurle Kaplan depuis le poste de pilotage. Que tout le
monde soit prêt à sortir ! »
L’homme à terre dévisage Alice. Elle
imagine que lui aussi se souvient de petits détails, de bribes de passé,
d’image furtives et mortes. Des flash visuels qui tailladent son acuité comme
elle vient de le faire, il retire son alliance et regarde l’inscription qui se
trouve dessus. Alice profite du ralentissement du train et de l’effervescence
qui a envahi les membres du commando pour s’approcher de son « faux »
mari.
« Tu sais qui je suis ? Tu sais comment je m’appelle ?
- Pas sûr…Alice, non ?
- Oui. » Elle sourit, tellement heureuse qu’il se souvienne de son prénom.
« Et toi ?
- Spence, je crois. J’en mettrais pas ma main à couper. Spence, Spence, un
truc de ce genre… Je t’ai vue m’appeler comme ça, une image furtive, un
flash-back… Je n’y comprends rien. Qu’est-ce qui se passe ici ? Où
est-on ? »
Rain s’accroupit près de Spence. Elle saisit le col de son blouson pour lui
dire à l’oreille :
« Croyez-moi sur parole, les deux tourtereaux, comprendre ce qui se passe
ici…c’est vraiment pas le problème. »
A son tour, Alice saisit la combinaison de Rain, histoire de lui montrer
qu’elle n’est pas impressionnée ni par les armes à feu qui l’entourent
en permanence, ni par l’attitude volontiers provocatrice de la jeune fille
Hispanique.
« Dis-moi, Rain, ce sont les alliances qui appartiennent à Umbrella
Corporation, ou ceux qui les portent ? »
La jeune Hispanique sourit et se dégage d’un mouvement d’épaule.
« A ton avis, petit chaperon rouge ? »
*
Le train ralentit à
l’approche de la gare souterraine qui donne accès à la Ruche. Rain sort la tête
de la rame et regarde approcher le quai de déchargement. Maintenant que le train
avance au pas, les grandes lampes du quai s’allument les unes après les autres,
de la plus proche à la plus éloignée. Rain ouvre grands les yeux, le hangar qui
apparaît progressivement est beaucoup plus grand que celui du manoir.
« Jumpy, tu prends la tête et tu sécurises la plate-forme de déchargement ! »
ordonne Wayne. Sans attendre, l’homme interpellé et ses cinq équipiers sortent
de la rame pour contrôler le quai, arme à l’épaule. Ils circulent le long des
enfilades des grands caisses, slaloment entre les barils de produits chimiques,
inspectent chaque coin et chaque recoin. Pinker et Goerden s’occupent de la
caisse, la vident et répartissent son contenu dans leur sac à dos. Alice n’a pas
eu le temps de distinguer quoi que ce soit, elle a juste aperçu des objets
chromés. Wayne ferme la marche. Il suit Matt, toujours menotté, Alice et Spence,
inséparables. Le commando gravit l’escalier qui donne sur une grande porte
blindée. Un énorme logo Umbrella Corporation occupe plus de la moitié de la
surface de la porte.
« Ouvrez-moi cette porte ! » ordonne Wayne.
Rain déballe son matériel de perceur de coffres : une lance thermique connectée
à un écran de contrôle. Elle pose l’écran équipé d’aimants sur la porte et le
met en marche. Elle allume la lance thermique avec son zippo et s’attaque au
boîtier du système d’ouverture et de fermeture. Chacun de ses gestes est
maîtrisé. Elle ne perd pas une seconde. Spence gratte sa barbe de deux jours
tout en jetant un coup d’œil aux alentours :
« Mais bordel, c’est quoi cet endroit ? Où est-on ? »
Jumpy s’approche de lui.
« T’es pas vraiment marié avec Alice, et ça c’est la porte qui donne sur le pays
des merveilles. » Alice s’approche de Wayne. Elle refuse de donner du poids à
Jumpy en lui posant des questions. T’es trop rouleur de mécaniques, Jumpy, trop
sûr de ton charme de mâle plein de foutre et d’hormones.
« Maintenant, je veux savoir ! »
Wayne, visé par l’injonction, ne réagit pas. Elle lui donne un coup de poing à
l’épaule, assez fort pour le faire réagir, pas assez pour lui faire mal.
« Maintenant, chef ! »
Il se tourne vers elle, la fixe droit dans les yeux.
« O.K., petit chaperon rouge… Je vais éclairer ta lanterne, n’en perds pas une
miette. Toi et Spence, vous travaillez pour la même boutique que nous : Umbrella
Corporation. Et ce genre de camp scout ne fabrique pas des sucettes à vingt-cinq
cents. Le manoir, au-dessus ? C’est une entrée d’urgence qui donne accès à la
Ruche. Vous avez été affectés au manoir pour protéger cette entrée. Vous êtes
des pantins de soldats comme nous, un peu mieux fringués, je vous l’accorde. »
Alice regarde son alliance, la fait bouger avec le pouce.
« Et ça ?
- Montre-lui », ordonne Wayne à Kaplan. Sur son ordinateur portable, Kaplan
fait défiler quatre photos de couple. Même lumière, mais paysage, mêmes sourires
béats.
« Ca c’est votre couverture type… Huit soldats, quatre hommes, quatre femmes…
Vous jouez les jeunes mariés et vous vous occupez du manoir à tour de rôle. Ce
qui se passe sous la couette, ça ne nous regarde pas. Ai-je été assez clair ? »
Alice porte la main à sa tempe. Une douleur l’illumine, lui brouille la vue.
Elle sourit pour la photo, Spence a enroulé son bras autour de sa taille de
guêpe. Flash. Eblouissement passager. C’est fini. Ils sortent du cadre, ils se
trouvent en fait dans un hangar propre et glacé, peut-être celui du manoir,
probablement un autre. Elle jette un dernier coup d’œil au poster hyperréaliste
qui fait office de paysage. Un autre couple prend leur place. Ils échangent un
joli rictus fluoré, un grand sourire de « mariés pour une heure ». Nouvelle
photo. Toute cette mise en scène est orchestrée par Umbrella Corporation, le
léviathan qui fait leur chèque chaque mois, le spectre tentaculaire qui remplit
leurs comptes en banque, leur fournit de chouettes vêtements, de chouettes
armes, et qui leur a enseigné comment s’en servir. Spence et Alice ? Souriez
pour la photo ! On en refait une autre ! Une couverture de petit couple modèle.
Une illusion fragile comme du strass, volatile comme des paillettes de
maquillage. Ou peut-être pas.
Comment savoir ?
Spence commence à s’énerver.
« Tout ça, c’est des conneries ! Je me souviens à peine d’elle… Et qu’est-ce que
je fous dans cette gare à la con ? »
Wayne s’approche. Kaplan recule, lui laissant la place.
« La Ruche possède son propre système de sécurité. Tout est dirigé, contrôlé,
surveillé par un système de sécurité informatique. En cas de dysfonctionnement
majeur, c’est l’ordinateur qui prend en charge la situation. Visiblement, c’est
ce qui est arrivé… Vous commencez à comprendre ? Vous avez été gazés par cet
ordinateur.
- Pourquoi ?
- Nous n’en savons rien… Le gaz utilisé agit directement sur le système nerveux.
Il vous a endormis quatre heures. Ses effets secondaires sont divers ; ils
incluent une amnésie temporaire...
- Qui va durer combien de temps ?
- Une heure, un jour, une semaine. Personne ne peut le dire, ça varie beaucoup
d’un individu à l’autre...
- Génial ! »
Alice se souvient du robinet de douche qui pivote pour émettre un jet de gaz
dans sa direction…le monde tourne autour d’elle, de sa main qui saisit le rideau
en plastique laiteux. Son corps part en arrière… Le rideau freine à peine sa
chute… Elle entend les attaches qui cassent les uns après les autres, comme dans
Psychose. Mais le manoir d’Umbrella n’a rien en commun avec le motel de la
famille Bates.
« Où sommes-nous, Wayne ? » demande Spence, visiblement hors de lui. Wayne
allume l’ordinateur de son poignet.
« Ça, c’est le manoir… »
Un schéma technique apparaît sur l’écran LCD de l’ordinateur. On y voit en fil
de fer la silhouette caractéristique de la grande bâtisse. Le quai de
chargement apparaît, caché dans le sous sol. Spence et Alice ne ratent rien de
l’animation. Le train démarre et s’engouffre dans un tunnel étroit qui descend
et descend encore, progressant à travers les sédiments et la roche en direction
d’un immense bâtiment souterrain en forme d’essaim de guêpes. La Ruche. Le
trajet doit avoisiner les dix kilomètres. La Ruche est un complexe high-tech de
quinze étages profondément enterrés sous Raccoon City. Le train se gare le long
du quai de chargement situé au premier étage de la Ruche, à son sommet en
quelque sorte.
« Voilà la Ruche, enterrée à huit cent mètres sous Raccoon City, reliée à la
ville par un système de trois ascenseurs express, tous hors service au moment où
je vous parle. Sabotés. Plus de cinq cents personnes y travaillent.
Quatre-vingt-dix pour cent des chercheurs en informatique, en cybernétique
appliquée et en virologie. Les recherches menées par Umbrella dans la Ruche sont
classées Top Secret, tous les membres du personnels ont signé un contrat
comprenant une clause de confidentialité.
« Il y a un peu moins de cinq heures, ce complexe a été la victime d’une
attaque. Voilà pourquoi nous sommes tous là. Nous, le commando S.T.A.R.S, et
vous, les invités de dernière minute. C’est tout ce que je peux vous dire pour
le moment.
- Une attaque ? Qui a saboté les ascenseurs express ? » demande Alice. Wayne
sourit pour ne pas répondre. Pendant le briefing, Rain a continué de s’échiner
sur le boîtier de commande d’ouverture et de fermeture de la porte, lui faisant
cracher une immense gerbe d’étincelles qui possède son rythme secret, qui
diminue puis reprend de plus belle, encore et encore. Elle manie sa lance
thermique en se protégeant les yeux derrière un masque de soudure à l’arc. Le
schéma fil de fer de la porte et de ses différentes sécurités est visible sur
l’écran LCD de son boîtier de contrôle, ainsi que la localisation précise des
verrous et des alarmes que la jeune femme a dû shunter les unes après les
autres. Alice observe Rain, concentrée sur sa tâche comme si sa vie en
dépendait. Elle mesure à quel point la compétence technique de cette équipe est
grande. A la mesure de sa cohésion. Matt s’approche du groupe que forment Alice,
Spence, Wayne et Kaplan.
« En somme, vous voulez dire que l’endroit où nous nous trouvons est la
propriété d’Umbrella Corporation. Et que ce qui s’y est passé n’est pas notre
affaire. Vous ignorez s’il y a des blessés, ou...
- Je suis désolé, monsieur le policier, mais les choses me semblent légèrement
plus compliquées. Et le temps presse »
La lance thermique cesse de vomir son jet d’étincelles. Rain a terminé. Le
boîtier de contrôle, de la taille d’une boîte de céréales, tombe à terre. Les
verrous de la porte claquent. Sainte Michel a terrassé le dragon.
« On y est ! » hurla Rain, mettant fin à la conversation en cours. Pinker et
Goerden enfilent leur sac à dos. Kaplan pianote une dernière fois sur son
ordinateur portable. L’ennemi, quel qu’il soit, se trouve derrière cette porte.
Chapitre 6
La large porte qui donne accès à la Ruche disparaît
dans le plafond. En face de l’équipe S.T.A.R.S et de ses « invités », seules les
ténèbres règnent, compactes, silencieuses.
« Jumpy »
Le soldat interpellé par son chef d’escouade met ses lunettes de vision nocturne
et passe le premier, avalé par le royaume des ombres. Ses mouvements se suivent
parfaitement malgré l’océan de ténèbres qui vient de le dévorer, on l’entend
aller à droite, à gauche, il sécurise le périmètre. Au bout de quelques secondes
des néons claquent, hésitent et finissent par illuminer un grand hall donnant
sur trois ascenseurs. Au fond de cet espèce étonnamment haut de plafond se
trouvent des machines à café, un distributeur de sandwiches et une fontaine
d’eau minéral. Sur le côté droit, quatre rideaux métalliques s’ouvrent sur
autant de baies vitrées qui culminent à plus de cinq mètres. Les lames des
rideaux pivotent pour laisser apparaître une magnifique vue de San Francisco,
mégapole brillante et resplendissante sous le soleil de midi, dont la lumière
blanchit les hautes architectures de verre et d’acier. Une carte postal de dix
mètres sur cinq, d’où parvient le bruit étouffé et lointain de la circulation,
quelques coups de klaxon isolés, une sirène de pompiers. Matt s’approche.
« Je croyais qu’on se trouvait sous terre...
- Il fait nuit dehors
depuis une heure, inspecteur Addison, lui annonce Wayne. Ce que vous voyez là
est un enregistrement d’ambiance. On appelle ça un animatronique, c’est une des
nombreux produits commercialisés par Umbrella. Nous sommes à huit cent mètres
sous les tours de Raccoon City, pas à San Francisco ni à Disneyland. Il est plus
facile de travailler sous terre si vous avez une belle vue. Non ?
- Ils aurait pu foutre une immense chute d’eau non ?
- Ca n’aurait pas le même effet, à mon avis. »
Matt avance vers les baies vitrées, sans doute pour vérifier ce qu’on vient de
lui dire.
« Cinq cents personnes qui travaillent sous la surface de la terre, comme des
fourmis. C’est fou... »
Rain s’approche du policier.
« T’es pas si loin de la vérité, flicard, lui crache-t-elle à l’oreille, parce
que les fourmis ont une reine… »
La main posée sur le verre froid des baies vitrées, Alice n’arrive pas à se
persuader que ce panorama est artificiel. Le résultat est parfait. Elle se mord
la lèvre inférieure. L’image paraît tellement véridique, avec cette ambiance de
circulation d’heure de pointe et cette profondeur de champ que l’œil interprète
comme réelle. S’ils peuvent traquer à ce point de simples images, que
peuvent-ils faire avec nos mémoires, nos instincts, nos désirs ? Un clang
violent la sort de ses pensées.
*
Jumpy et Kaplan viennent de forcer les portes
automatiques d’un des ascenseurs. Ils les bloquent le temps que Wayne puisse
s’immiscer entre elles, fusil d’assaut à l’épaule. Le chef de mission met en
joue les ténèbres de la cage d’ascenseur qui le surplombent, puis le vide qui
bée sous ses pieds. Kaplan amorce une torche au phosphore et la lance dans la
cage d’ascenseur. La torche, qui dispense une horrible lumière verdâtre et
grésille comme un bout de lard dans une poêle, tombe en tournoyant. Elle heurte
un câble sectionné et révèle la cabine d’ascenseur, cinquante mètres en
contrebas.
« S’il y avait des gens dedans, ça a dû leur faire tout bizarre », ne peut
s’empêcher de plaisanter Jumpy. La torche au phosphore, qui s’est écrasée sur le
toit de la cabine, cesse peu à peu de brûler, rendant à l’obscurité le spectacle
de l’ascenseur fracassé.
« Je crois que nous
allons devoir prendre l’escalier », commente Kaplan en laissant les portes se
refermer. Wayne grimace.
« Rain, Stolmaïer vous ouvrez la marche ! Jumpy, tu
t’occupes de nos invités et tu fais la lanterne rouge ! Je ne veux voir personne
derrière toi ! »
Le groupe se redéploie. Rain épaule son fusil
d’assaut. Elle ouvre la porte coupe-feu d’un coup de pied et s’engage dans le
vaste escalier du complexe. Le reste du groupe la suit. Les deux membres
féminins du commando taillent la route à tour de rôle ; quand l’une descend une
volée de marche, l’autre la couvre. Les permutations se font à un rythme
soutenu.
« Où en est-on ? demande Wayne alors qu’ils
approchent visiblement du but.
- Red Queen est
en veille, lui annonce Kaplan. Pour le moment elle n’agit qu’en tant que moelle
épinière de la Ruche, relayant des réflexes conditionnés. Elle pourrait même pas
nous proposer une partie de Tetris si on le lui demandait. »
Alice se glisse entre les deux hommes.
« Qui est Red Queen ?
- Une
intelligence artificielle conçue et mise au point par Umbrella, lui répond
Wayne. Elle contrôle la Ruche.
- Mais cette
base, c’est une base militaire, non ? Umbrella c’est le gouvernement ? Un truc
puant comme la CIA ?
- Non. Umbrella
est une entreprise privée qui entretient des liens étroits avec l’armée
américaine, tout en restant indépendante, ce qui garantit sa compétitivité.
C’est une multinationale qui traite avec de nombreuses armées dans le monde entier. »
Matt s’impose dans la conversation.
« Putain d’entreprises privées… Je suppose que la
paie est meilleure, non ? »
Wayne ne relève pas.
« On se bouge, les filles, on coupe par le labo 8.
Allez, allez ! Le temps est notre pire ennemi ! »
*
Couverte par Jumpy, Rain shunte le boîtier de
sécurité du corridor qui longe les laboratoires de recherches. L’équipe se
déploie alors dans un couloir long de trente mètres. Toutes les zones hermétiques
dont le laboratoire 8 sont noyées du sol au plafond. L’eau est brunâtre. Rien ne
bouge.
« Fait chier ! s’exclame Kaplan. Ca va nous obliger
à faire un détour, le plus court chemin passait par le labo 8, c’était aussi le
meilleur accès.
- Le meilleur ?
demande Alice.
- Le plus sûr,
précise Wayne… Rain, tu prends Jumpy et tu regardes s’il y a un moyen d’évacuer
l’eau. Vite ! »
Rain acquiesce. Elle s’engage dans un couloir
métallique qui part sur la droite. Jumpy la talonne. Alice s’approche de la
grande baie vitrée donnant sur le laboratoire 8. De minuscules jets d’eau
aspergent le corridor. Quelqu’un a réussi à percer le verre blindé à sept
reprises. Les trous sont à peine plus gros que des têtes d’épingle. Et ça n’a
pas suffi. Wayne s’approche de Kaplan.
« Il nous faut un autre accès…
- Le labo 8,
c’était de loin le meilleur. Je vais voir ce que je peux faire, mais… »
Wayne fait signe à Kaplan de ne rien ajouter.
L’officier en second sort son ordinateur du mode veille et se met à pianoter.
« Qu’est-ce qui se passe ici ? demande Spence.
Merde ! Vous venez de dire qu’on bossait pour la même boîte et qu’Alice et moi
étions des soldats tous comme vous. Qu’est-ce qui s’est passé ici ?
- Il y a cinq
heures, Red Queen a fermé tous les accès à la Ruche, elle a saboté les
ascenseurs et a tué tout le monde.
- Vous ne pouvez
pas affirmer un truc pareil ! s’exclame Matt, horrifié. Vous avez dit que cinq
cents personnes travaillaient sur ce site. Il y a forcément des survivants.
- Cinq cent
trente-trois. Dès que nous nous en sommes aperçus, nous avons mis en place un
iceberg pour neutraliser Red Queen.
- Un iceberg ?
- C’est un
programme informatique, une sorte de rouleau compresseur qui a gelé toutes ses
défenses et qui la paralyse en la noyant d’ordres, de messages d’alerte et de
routines inutiles. Red Queen est en sommeil pour le moment, ou plutôt très
occupée. Nous sommes ici pour la shunter. Tant que l’iceberg tient, nous avons
une chance.
- Pourquoi
aurait-elle tué ces gens ? demande Alice.
- Nous n’en
savons rien. Nous ne savons même pas s’il s’agit d’un acte délibéré ou d’une
procédure d’urgence qui aurait mal tourné. Par contre, nous sommes quasiment sûr
que tous ceux qui travaillaient dans la Ruche sont morts. A cause du halon qui
les a asphyxiés. Personne ne peut survivre à ça. »
Matt s’approche de la baie vitrée en évitant les
sept minuscules jets d’eau qui s’en échappent. Dans le laboratoire 8, l’eau est
si trouble qu’on ne distingue plus rien au-delà de trente centimètres. Un visage
humain apparaît soudain, faisant sursauter le policier.
« Oh merde ! »
Un visage de femme. Plutôt jolie, longs cheveux roux
qui flottent comme une immense méduse. Alice se tourne pour ne plus voir le
cadavre. Elle caresse son alliance et lève les yeux vers Spence. Aussitôt, il
s’approche d’elle.
« Ca va ?
- Oui.
- T’as pas l’air en
pleine forme.
- Ca va, je te
dis. »
Spence enlève son blouson et lui tend.
« Fait plutôt froid dans le coin.
- J’en veux pas, merci.
- Prends-le, tu
vas attraper froid. »
Elle regarde le blouson et pense à sa robe de
soirée. Il a raison. Il fait froid dans ce complexe à la con et elle ne porte
que cette stupide robe, fine comme du papier à cigarette. Après une dernière
hésitation, elle prend la veste. A ce moment, sans vraiment l’avoir prémédité,
sa main touche celle de Spence. Une vision la submerge comme une vague.
Elle est avec Spence, au lit. Ils font l’amour. Elle
se voit jouir en serrant les draps dans ses poings. Le plaisir lui a arraché un
cri. Elle se voit l’embrasser à pleine bouche, lui sucer la langue, le remercier
et plaisanter tout en caressant sa joue mal rasée. L’orgasme résonne dans tout
son corps. Longtemps. Il rient ensemble.
Nous formons un beau couple.
La vision la rejette dans la réalité, épuisée, le
souffle court.
« Ca va ?
Elle dévisage Spence, se demande s’il s’est aperçu
de…s’il sait quelque chose qu’il n’a pas voulu lui dire.
Pas encore.
Elle enfile le blouson sans faire de commentaire.
« Tu te souviens de nous, Alice ? De cet endroit, du
manoir ?
- Rien. »
Aussitôt, elle s’en veut d’avoir menti, mais elle ne
pouvait vraiment pas lui dire : je me souviens avoir fait l’amour avec toi. Ce
n’est ni l’endroit ni le moment, et rien ne lui dit que toutes ces visions, ces
flash-back, ne soient pas des images du passé réinterprétées par son cerveau
encore sous le coup sérieux traumatisme.
« C’est étrange…cinq cents personnes étaient censées
travailler dans cet endroit et nous n’avons vu qu’un cadavre pour le moment.
- Tu crois qu’ils
nous ont menti ? » lui demande Spence à voix basse. Alice jette un coup d’œil à
Kaplan et à Wayne qui consultent leurs ordinateurs et discutent eux aussi mezza
voce.
« Je ne sais pas, mais je trouve qu’ils transportent
beaucoup de flingues pour une équipe d’informaticiens qui va shunter une
intelligence artificielle démente ou boguée.
- Peut-être que
ceux qui les ont briefés ne leur ont pas dit toute la vérité.
- Peut-être »,
admet Alice.
*
Matt s’est éloigné de quelques pas du groupe. Ses
poignets maltraités par les menottes lui font un mal de chien. Il lève les yeux
vers le plafond. Derrière une grille de maintenance d’un mètre sur deux, quelque
chose a fait du bruit. Il a entendu comme une respiration rauque, et le bruit
que font des ongles glissant sur le grillage. Alors qu’il s’apprête à en parler
aux autres, quitte à se ridiculiser, Rain et Jumpy réapparaissent.
« Tout est noyé. Le niveau au complet. »
Kaplan pianote sur son portable.
« J’ai fini, chef ! On fait demi-tour, on passe par
le réfectoire B et on rechoppe notre voie d’accès à partir de là. O.K, les
filles, on est déjà à la ramasse. Alors on bouge, et plus vite que ça ! On a une
reine à découronner. »
Kaplan s’approche d’Alice et de Spence, il leur fait
signe d’avancer. Au vu de son expression faciale, il aurait pu tout aussi bien
leur dire : « Allez, les tourtereaux, on est pas là pour s’amuser. »
Visiblement plus décontracté qu’auparavant, Spence
fait un clin d’œil à Alice.
« Faut y aller, petit chaperon rouge… »
Pour toute réponse, elle s’autorisa à lui sourire.
Et plus, si affinités…
*
Fascinée par la chevelure rousse qui flotte dans
l’eau brune, Rain s’approche de la femme noyée, leur première découverte
macabre. Certainement pas la dernière.
« Waoh ! La petite sirène a oublié de refaire
surface. Pauvre fille… »
Rain s’approche de la vitre pour essayer d’en voir
plus, de distinguer d’autres corps ? Elle recule vivement quand la morte lui
fait le contraire d’un clin d’œil : fermé, ouvert, fermé. Ca n’a duré qu’une demi-seconde.
« Merde !
- Qu’est-ce qu’il
y a, Rain ? » demande Wayne qui a déjà pris de l’avance.
Rain regarde la noyée, immobile, impassible. Morte.
Putain ! Ca devrait être un de ces réflexes post
mortem à la con qui font gigoter les jambes des morts et craquer leurs
vertèbres.
« Fausse alerte ! » annonce-t-elle en souriant,
contrariée d’avoir eu à ce point. On se serait cru dans ce film de Wes Craven
qui se passa à Haïti. Bon film. Avec Bill Pullman tout jeune. Rain presse le pas
pour rejoindre son escouade en route vers le réfectoire B. Ça tombe bien, elle a
un petit creux.
Chapitre 7
Un couloir étroit. Un
escalier. Une salle commune dont on sécurise les moindres coins avant de la
traverser au petit trot. Guidée par Wayne qui ne cesse de consulter l’ordinateur
de son poignet, l’escouade progresse dans le labyrinthe de la Ruche. Malgré leur
longue progression dans le complexe déshumanisé, ils n’ont vu aucun corps en
chemin. Rien. Pas même des effets personnels abandonnés dans la panique ou un mug de café encore plein, posé sur un meuble. Enfin, ils se regroupent devant
les portes du réfectoire B.
Wayne consulte son
ordinateur et tape un code sur le boîtier d’accès :
04031965.
Les portes s’ouvrent en
chuintant et une vague d’air glacé frappe toute l’équipe, la recouvre comme un
linceul. Toujours en formation de combat, Rain en tête, l’escouade pénètre dans
une vaste salle dans laquelle se dressent d’immenses containers noirs qui
ressemblent à des monolithes. Il y en a une trentaine, au bas mot.
« Ca me rappelle un film avec Sigourney W...
- Ta gueule, Rain ! »
La salle fait plus de soixante-dix mètres de profondeur sur vingt de large. Les
containers, aux flancs renforcés par des croisillons métalliques, font trois
mètres de haut en moyenne. Il y a au moins trois modèles différents. D’immenses
tuyaux, tels des serpents d’apocalypse organisés en chevelure venimeuse, les
relient à un circuit de refroidissement visible sur la gauche. Alice s’en
approche de quelques pas et observe les pompes, les conduites souples de trente
centimètres de diamètre, les écrans de contrôle LCD, les manomètres dont les
aiguilles effleurent la zone rouge. Le tout est dominé par une vingtaine de
bonbonnes d’azote liquide qui occupent tout un pan de mur. On dirait le
croisement contre nature d’une pompe à chaleur et d’un orgue de cathédrale. Les
containers et les tuyaux fixés dans leurs socles forment une sorte de labyrinthe
glacé, baigné par des giclées sporadiques d’azote liquide dont les volutes
recouvrent le sol de la pièce, formant une brume de quelques dizaines de
centimètres d’épaisseur.
Problèmes de surpression ?
« Il y avait des containers de ce genre dans le sous-sol du manoir », annonce
Alice. Matt regarde la pièce.
« Drôle de restaurant d’entreprise… C’est plutôt une auberge à yetis votre truc.
Si quelque chose doit être consommé sur place, c’est nous, certainement pas les
trucs qu’ils ont mis à refroidir. »
Kaplan s’approche de Wayne.
« C’est quoi ce bordel ?
- Je sais pas, on est censés être dans le réfectoire B. C’est ce que dit le
schéma 3D.
- Vous avez mal lu, chef… »
Wayne lance la simulation de localisation de l’escouade. Le schéma de la Ruche
apparaît. Les yeux grands ouverts, rivés sur l’écran, Kaplan n’en perd pas une
miette.
Il a raison… On est bien dans le « réfectoire B ».
« Peut-être que votre boîte, Umbrella, stocke ici des choses qu’elle ne voulait
pas que vous voyiez, suggère Matt. Des choses qui pourraient vous faire peur.
D’où votre accès par le laboratoire 8…
- Je suis une grande fille qui aime bien les culottes avec des dentelles sur le
côté, lui annonce Rain en le chahutant avec la crosse de son fusil d’assaut. Je
sais pas ce qu’il y a dans ces putains de caisses réfrigérées, mais j’en fais
mon affaire. »
Wayne consulte à nouveau son ordinateur portable. Kaplan vérifie une dernière
fois leur localisation. Réfectoire B. Les deux hommes grimacent. Quelque chose
leur échappe.
« Jumpy, Rain, vous gardez le prisonnier ici et vous sécurisez le périmètre. Le
reste de l’équipe vient avec moi. »
Spence s’approche de Wayne.
« Pourquoi on laisse le flic derrière ? Je trouve qu’il pose plutôt les bonnes
questions, vous croyez pas, chef ? »
Wayne ne se donne pas la peine de répondre, préférant se tourner vers Stolmaïer.
« Toubib, on en est où ?
- Aucun trace résiduelle de halon dans cette pièce, chef. Peut-être que le
système anti-incendie n’a pas fonctionné.
- Dans une pièce noyée d’azote liquide, ça ne me surprend pas plus que ça… OK,
écoutez tous. Il y a peut-être des survivants dans les parages. On forme une
ligne, on ratisse cette pièce, mais sans perdre le contact visuel. Compris ? »
Tout le monde acquiesce.
« Allez, les filles ! Perdez pas de temps ! Et si vous trouvez le moindre truc,
vous appelez maman ! »
Alice progresse parallèlement aux autres. Pour la première fois, elle aimerait
avoir une des armes qui se trouvaient dans le troisième tiroir de sa commode en
partant du haut. Une vision la noie quelques secondes.
Je cours le long d’un sentier boueux bordé par des arbres qui ont perdu leurs
feuilles. La terre grasse me colle au talon, se niche entre les crampons de mes
rangers. Je suis vêtue d’une combinaison noire, la même que celle utilisée par
les membres de l’escouade. Je porte un fusil d’assaut en bandoulière, un Beretta
9 mm dans un étui à la ceinture et un couteau de combat à la cheville. Bientôt
un mur d’escouade se dresse devant moi. Un mur qui me semble haut comme les
chutes du Niagara. J’hésite et un instructeur me crie :
« Allez ! Allez ! »
Je me tourne vers lui pour le dévisager, ce n’est pas n’importe qui, c’est
Wayne… Et il mâchouille un énorme cigare éteint depuis belle lurette.
De retour au pays des vivants, Alice s’aperçoit que les autres l’ont légèrement
devancée. Déboussolée par sa vision, elle avance entre les containers, enjambe
les immenses tuyaux de refroidissement. Elle ne peut pas marcher en ligne
droite. Elle évite un jet d’azote liquide, contourne une caisse par la gauche et
s’emmitoufle dans son blouson à cause du froid et des cascades de gaz glacial
qui dévalent les flancs des containers en formant une brume épaisse autour de
ses pieds et de ses chevilles. Soudain, elle se rend compte qu’elle ne voit plus
personne, ni les membres de l’équipe, ni Spence. Elle en profite pour
s‘approcher du containers le plus proche. C’est le plus gros du réfectoire B, du
moins elle n’en a pas vu de plus imposant. Quelque chose à été écrit dessus :
« Umbrella Corporation
·
Projet Nemesis ·
Top Secret. »
Sur le côté droit du container elle aperçoit une sorte de fenêtre rectangulaire
couverte de givre. Alice s’approche, gratte la pellicule de glace et regarde ce
qui… Elle recule vivement, frissonnante, effrayée. Dégoûtée par ce qu’elle vient
d’apercevoir...
Non, ce n’est pas possible.
Elle s’approche à nouveau de la petite fenêtre. A l’intérieur du container se
dresse une créature vaguement anthropomorphe. Un monstre à la peau épaisse et
rugueuse, baignant dans l’azote liquide. Des tuyaux annelés qui ressemblent à
des œsophages de mouton pénètrent son corps à différents endroits, notamment au
niveau du cerveau qui n’est protégé par aucune boîte crânienne, aucune voûte
osseuse. De nombreux cathéters sont reliés à un réseau veineux. Des sondes ont
été introduites dans son rectum et ses organes génitaux. La chose n’a pas d’yeux
et possède une longue langue couverte de barbillons.
Ce monstre semble sorti d’un cauchemar ; vomi par le cerveau d’un malade mental
qui, toutes les nuits, est persécuté par des milliers de créatures grotesques et
malveillantes… dont celle-ci… La pire de toutes. La plus vicieuse. Nemesis. La
vengeance personnifiée. Mais de qui, de quoi Umbrella Corporation veut-elle se
venger ?
Et comment ont-ils fabriqué cette…chose ?
Alice jette un coup d’œil aux alentours : aucun membre de l’escouade en vue.
Elle se dit que Spence aurait pu faire quelque effort pour rester avec elle,
mais se rend compte qu’il ne se souvient probablement pas de ce qui les lie
réellement.
Tu ne peux t’en prendre qu’à toi-même, tu n’as pas osé en parler. Ni l’endroit
ni le moment.
Une main puissante se pose sur l’épaule de la jeune amnésique ; elle sursaute et
pousse un petit hurlement de terreur pure.
« Quand j’ai dit de rester en contact visuel avec les autres, cela valait aussi
pour vous, petit chaperon rouge », lui annonce Wayne, qui ne joue même pas son
rôle de chef contrarié. Au contraire, il y a de la chaleur dans sa voix.
« Désolée. »
Elle jette un dernier coup d’œil à la caisse.
« Y a quoi là-dedans ? lui demande le chef de mission.
- Imaginez le rejeton le plus moche qui puisse être enfanté sur cette planète et
vous y êtes presque.
- Genre le fils putatif de la créature de Frankenstein et de Nancy Reagan ?
- Je connais aucune Nancy Reagan et j’ai jamais entendu parler de l’autre
machin-stein… Cette Nancy, elle bosse chez Umbrella ? C’est votre supérieur ? »
Wayne ne peut s’empêcher de sourire.
« Non, mais elle pourrait, si elle n’était pas morte depuis deux ou trois ans.
- J’aimerais me souvenir de tout ce bordel, le manoir, ma mission,
l’entraînement. » Elle en a parlé à dessein pour observer sa réaction, jauger à
quel point il lui ment et lui cache des choses. Il n’a même pas cillé.
« J’aimerais comprendre ce que je fais là, qui je suis. Peut-être que je
pourrais vous être un peu plus utile…
- Je peux comprendre ça… Cela dit, soldat, pour votre sécurité et celle des
autres, ne vous éloignez pas trop de Rain.
- Rain ?
- Croyez-moi… Rain assure, je lui confierais mes deux filles les yeux fermés. Ce
serait dommage que le petit chaperon rouge se fasse grignoter par le loup.
- Dites-moi, Wayne… A huit cent mètres sous terre, qui est le loup ? »
Il ne répond pas. Sourire aux lèvres, il s’éloigne du container « Nemesis »
après avoir jeté un coup d’œil à ce qu’il contient.
« Beau bébé… L’humanité a rasé les vieilles forêts du Moyen Age, il fallait bien
que les loups se réfugient quelque part, non ? »
Alice l’observe avec attention et respect. Il lui est apparu humain pour la
première fois, concerné par autre chose que sa mission et ses subordonnés. Il a
même évoqué ses filles. Son armure s’est craquelée, une légère fêlure vient
d’apparaître. Et elle est résolument humaine.
« Aucun survivant ! Périmètre contrôlé ! » hurle Kaplan à l’autre bout de la
pièce. Le commando se remet en marche. Il quitte le réfectoire B pour entrer
dans le couloir qui mène à la salle de contrôle.
A Red Queen.
Chapitre 8
Parvenue à la salle de contrôle, l’équipe se déploie
et Kaplan s’assoit derrière la console principale, un grand pupitre doté de
trois écrans plasma et d’autant de claviers. Alice s’approche de la porte
blindée qui donne sur le couloir d’accès à Red Queen, à son Sanctuaire, comme
elle a entendu Kaplan l’appeler. Cette porte, équipée d’un hublot rectangulaire,
doit bien faire un mètre d’épaisseur. Au-delà, le couloir est plongé dans
l’obscurité. L’œil attiré par les lumières clignotantes du boîtier de contrôle
de la porte blindée qui se trouve à l’autre bout, Alice évalue la longueur du
couloir à huit mètres.
« Pourquoi ça prend tellement de temps ? » demande Stolmaïer.
Kaplan pianote. Il gratte sa joue.
« Red Queen est en mode défensif. Elle me complique la tâche.
- Tu n’as pas dit qu’elle était complètement gelée par l’iceberg ? Qu’elle
pourrait même pas nous proposer une partie de Tetris si on le lui demandait ?
- Ca n’a pas marché. Pas autant qu’on l’espérait. Elle a contourné une bonne
partie des pièges qu’on avait semés dans ses routines. Plutôt que d’utiliser un
brise-glace qui aurait pompé toutes ses ressources, elle a construit des sortes
de ponts pour contourner l’iceberg. Mais pas d’inquiétude, je vais l’avoir… J’en
ai baisé de plus coriaces.
- La dernière fois que t’as baisé, Kaplan, t’étais tout poisseux en te
réveillant » lui murmure Stolmaïer à l’oreille.
Sourire aux lèvres, Kaplan continue de pianoter. La porte d’accès s’ouvre en
claquant.
« OK, vérifiez le matos ! » ordonne Wayne.
Pinker et Goerden vident leurs sacs à dos et répertorient les pièces d’une
machine high-tech qui ressemble à une sonde de la NASA, une grosse boîte noire
avec des sortes de panneaux solaires chromés.
« C’est quoi ? demande Alice.
- Un générateur IEM, lui répond Kaplan.
- IEM ?
- Impulsions électromagnétiques. Ca crée un champ magnétique qui surcharge tout
équipement électronique mis en sa présence. Aucun ordinateur ne peut y résister.
Il est obligé de rebooter et encore rien ne garantit qu’il puisse y parvenir.
- C’est ça qui va mettre Red Queen hors service ?
- Oui m’dame, et en moins de temps qu’il n’en faut pour se faire un thé au
micro-ondes. »
L’assemblage des deux parties principales du générateur IEM prend fin ; Goerden
et Pinker en sont aux dernières vérifications. Alice et Wayne s’approchent du
couloir.
« Vous, vous restez là », annonce le chef de la mission à la jeune femme.
Elle acquiesce.
*
Wayne pénètre seul le couloir d’accès à Red Queen.
Tous les sens en alerte, il progresse dans le tunnel aux quatre parois de verre
fumé. Soudain une lumière aveuglante provenant de rangées de néons placées
derrière les plaques de verre fumé inonde le couloir d’accès au Sanctuaire, le
transformant en un kaléidoscope monochrome.
« Qu’est-ce qui se passe ?
- C’est normal, lui annonce Kaplan. Votre poids a déclenché le système
d’éclairage. Vous pouvez continuer à avancer vers la porte. »
Les mains crispées sur son fusil d’assaut, Wayne approche de la porte, le
dernier rempart qui les sépare du Sanctuaire. Il pose un boîtier de la taille
d’une télécommande à l’entrée de celui-ci.
« J’ai mis le transmetteur en place.
- OK. Je m’occupe du code. »
Kaplan pianote comme un fou sur le terminal qui se trouve en face de lui. Les
chiffres défilent sur son écran. Un numéro à cinq chiffres. Le code est brisé,
un chiffre après l’autre : 12177.
« Echec et mat ! »
La porte donnant sur Red Queen, on dirait celle d’un coffre-fort de banque,
s’ouvre enfin. Wayne jette un coup d’œil à la pièce et se presse contre le mur.
« Pinker, Stolmaïer, Goerden ! Repérages et sécurisation du périmètre! » ordonne
le chef de mission.
Pinker et Goerden laissent leurs sacs à dos et ce
qu’il contient. Stolmaïer leur emboîte le pas pour les couvrir. La porte de la
salle de contrôle se ferme derrière eux, leur coupant toute retraite.
Wayne commence à reculer vers ses hommes quand la porte du Sanctuaire se ferme à
son tour.
« Kaplan ! »
Le soldat interpellé hésite entre les trois claviers du pupitre. Visiblement, il
cherche à comprendre ce qui se passe.
« Kaplan !
- Je ne sais pas, chef… Peut-être un système de défense endormi, qu’on aurait
réveillé en ouvrant les deux portes en même temps. Ce couloir est sans doute une
sorte de sas de sécurité, comparable à celui d’une banque.
- Rendors-moi cette saloperie !
- J’y travaille ! » annonce Kaplan en pianotant sur les deux claviers à la fois,
en contrôlant les trois écrans à tour de rôle.
« On ne peut pas utiliser le générateur ? lui demande Alice.
- Pas d’ici. »
*
Wayne rejoint Goerden, Pinker et Stolmaïer.
« Tout le monde en position ! Et on reste calme !
- Red Queen sait qu’on est là, s’exclame Pinker.
- On se calme, le temps que Kaplan nous sorte de cette merde. »
Quelque chose bouge dans le fond du corridor au niveau de la porte blindée qui
donne sur le Sanctuaire. C’est une lumière bleutée qui prend forme peu à peu,
qui devient de plus en plus éblouissante.
« Qu’est-ce que c’est que ça ? demande Goerden.
- Kaplan ! »
*
Kaplan pianote sur les trois claviers à tour de
rôle. Un message clignotant occupe chacun des trois écrans :
Armement activé · Riposte en cours.
Il entre dans les lignes de codes pour mettre fin à la menace. Alice sent qu’il
est à deux doigts de paniquer. Elle s’approche du hublot pour regarder l’équipe
prise au piège. Un trait de lumière horizontal apparaît en bout de couloir. Il
se stabilise, parfaitement rectiligne, et fuse vers les quatre membres de
l’escouade.
« A terre ! »
Pinker plonge en avant et se met en position de tir. Wayne se jette sur Goerden,
tétanisé, pour lui sauver la vie. Déséquilibré, le jeune soldat lâche son arme,
tombe en arrière en levant la main pour se protéger le visage. Un réflexe idiot.
Le rayon est passé. Goerden hurle et s’agite, broyé par la douleur. Tous les
doigts de sa main droite ont été tranchés net et reposent, éparpillés, sur le
verre fumé.
« Toubib ! » hurle Wayne qui entend dans sa radio Alice et son faux mari hurler
à Kaplan :
« Ouvrez cette porte ! Ouvrez cette putain de porte !
- Je suis dessus », répond Kaplan sèchement.
Une façon de dire :
« Ne me faites pas chier, je sais ce que j’ai à faire… »
Les yeux de Goerden se révulsent. Wayne lui soulève la tête pour qu’il respire
plus facilement.
« Tiens bon ! T’es en état de choc, ne sombre pas ! »
Wayne se tourne vers Stolmaïer qui n’a pas réagi depuis l’attaque du rayon.
« Stolmaïer ! »
La jeune femme se tient raide malgré l’agitation, parfaitement immobile. Une
marque sombre fait tout le tour de son cou, deux gouttes de sang s’en échappent
et roulent sur sa peau blanche. Soudain sa tête glisse vers l’avant et se
détache ; son corps décapité s’affale. Aucune hémorragie massive. Veines et
artères ont été cautérisées par le laser. Les chairs grésillent et fument
doucement. Wayne lève les yeux vers la porte blindée et aperçoit Alice. Elle se
mord le poing, le visage déformé par l’horreur de la situation. Un autre rayon
horizontal fuse vers Wayne et Pinker, en rasant le sol. Wayne recule en
abandonnant Goerden à son triste sort. Une fois le rayon arrivé à sa hauteur,
Pinker essaye de sauter par-dessus. Mais à la dernière seconde le fils de
lumière bleu s’élève d’un bon mètre et tranche le soldat en deux à hauteur de la
ceinture. Wayne s’accroche au plafond pour sauver sa peau, levant et tendant les
jambes au maximum. Le rayon le souligne, sectionnant une partie de son matériel.
Une moitié de couteau de combat, tranchée nette, tombe et tinte sur le sol en
verre fumé.
Le chef d’escouade se laisse redescendre au sol, attendant la prochaine attaque.
« J’y suis presque », lui annonce Kaplan par radio. Un rayon fuse vers Wayne à
mi-hauteur. Un rayon qui ne semble avoir aucune trajectoire particulière.
Facile. Arrivé à un mètre de Wayne, le rayon se transforme en un filet laser à
mailles larges qui occupe toute la largeur et toute la hauteur du couloir, ne
lui laissant aucune échappatoire.
« Merde… »
Wayne ne se donne même pas la peine de bouger. La mort le frappe de plein fouet,
le découpant en losanges grésillants.
*
Kaplan vient de mettre le système offensif de Red
Queen hors service. Trop tard. Les deux mains posées sur la porte blindée, Alice
regarde ce qui se passe à l’intérieur du couloir. Le corps du chef de mission
bouge légèrement et s’écroule soudain en un tas informe. Elle se retourne pour
pleurer. Elle respire à fond, lentement pour ne pas vomir. Kaplan regarde les
écrans, incrédule. Il appuie sur une dernière touche et la porte d’accès au
couloir s’ouvre. Il s’approche d’Alice.
« OK, on y va…
- Quoi, demande Spence, presque en hurlant.
- Je suis l’officier en second et c’est moi qui dirige cette équipe maintenant.
- L’équipe ? s’exclame Alice. Ils sont tous morts, il ne vous reste aucune
équipe à diriger, Kaplan.
- Restent Rain et Jumpy au réfectoire B. Nous devons achever cette mission…
- Nous ? s’étonne Spence. Je rentre pas dans ce truc mec, que tu sois l’officier
en second ou Dieu le père.
- Red Queen n’est plus en état de se défendre.
- C’est marrant, Kaplan, t’as dit le même genre de conneries à ton supérieur
avant qu’il se fasse relifter sévère par miss monde souterrain.
- Je contrôle les deux portes du couloir, je peux les ouvrir ou les fermer à ma
guise. Et j’ai réduit à néant tout son système offensif. » Kaplan regarde Spence,
puis Alice.
«
L’équipe STARS a été
envoyée ici pour foutre en l’air Red Queen. Je ne peux pas partir tant que ça
n’aura pas été fait. Alors je vais y aller avec les pièces du générateur IEM et
je vais faire mon job. Mon job ! OK ? »
Avec un des deux sacs à dos sur l’épaule, Kaplan vérifie son matériel
informatique. Il dégaine son revolver puis entre dans le couloir. Sans cesser
d’avancer, il jette un coup d’œil au tas de viande écœurant qui, quelques
minutes auparavant, était encore l’officier en charge de la mission. Il
contourne le corps décapité de Stolmaïer. OK, soldat, t’as voulu jouer au héros,
maintenant tu joues le rôle jusqu’au bout. Faut avancer. Une main se pose sur
son épaule et le fait sursauter. Il se tourne vers Alice qui se tient derrière
lui.
« T’as une sacrée paire de couilles, Kaplan, lui dit-elle en souriant.
- Pas plus que le petit chaperon rouge », annonce-t-il en voyant qu’elle porte
l’autre sac.
Ensemble, ils se dirigent d’un pas décidé vers le Sanctuaire.
Suite
|