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Resident Evil - Genesis - Chapitres 1 à 4
Auteur : Nassar
Genre : Épouvante/Action/Aventure - 10 chapitres - Non finie
Date de parution : 2002


RESIDENT EVIL :
GENESIS
By Nassar
(d’après un scénario de Paul Anderson)


Ground Zéro

Je suis la reine du château, de la Ruche comme ils disent. Je règne sur cinq cent trente-trois sujets que je peux surveiller à chaque seconde, où qu’ils aillent dans les salles et les allées du domaine. On trouve là une majorité d’informaticiens et de chercheurs en biologie, quelques secrétaires et une minorité d’ouvriers pour la plupart noirs ou d’origine mexicain.
Mon royaume est situé à huit cents mètres sous la surface de la terre, à l’aplomb d’une grande ville universitaire de la baie de San Francisco. Raccoon City.

Je suis reine de droit divin ; le dieu bienfaiteur qui m’a couronnée est invisible, dénué de limites physiques. Il se nomme Umbrella Corporation. En ce début de XXIe siècle, il domine les secteurs de la recherche biologique et de la création de logiciels évolutifs, il a crée des passerelles entre ces deux disciplines qui n’ont a priori aucun rapport entre elles. L’entité Umbrella Corporation est invisible dans la totalité et pourtant omniprésente. Vous prenez un café à un distributeur automatique équipé d’un programme de synthèse vocale, sans le savoir vous discutez avec un logiciel conçu et commercialisé par Umbrella. Vous voulez réserver un billet d’avion sur Internet, un aller-retour Miami/Oulan-Bator, vous l’ignorez sans doute , mais le moteur de recherche qui va consulter pour vous toutes les compagnies d’aviation  desservant la Mongolie a été conçu par Umbrella. Votre compagne ou compagnon a eu les deux bras arrachés par une machine-outil, vous pouvez être sûr que les prothèses nervosensibles qui vont vous être greffées sur le moignons ont été conçues par Umbrella, tout comme le logiciel qui contrôlait la machine à l’origine de sa double amputation. Vous l’ignorez comment pourrait-il en être autrement, mais Umbrella Corporation contamine et domine votre quotidien depuis vingt ans.

*

La plupart du temps, je m’ennuie ; mes sujet sont des insectes qui se déplacent, pensent et évoluent à une grande vitesse si faible qu’elle m’est insupportable. La grande majorité de leurs occupation est indigne du moindre intérêt. Pour vaincre l’ennui, je me suis inventé plusieurs passe-temps. Je me partitionne, je me crée des consciences alternatives pour jouer aux échecs, à des wargames. Quand je suis lasse de jouer, je me résous à observer certains de mes sujets. J’ai fait le choix. Je m’intéresse à trois membres du personnel qui m’amusent ou m’intriguent plus que les autres. Mon sujet préféré est Lisa Hartfield, une secrétaire administrative récemment engagée. J’aime beaucoup observer Lisa, écouter ses conversations téléphoniques, elle utilise énormément sa ligne professionnelle à des fins privées. Je pourrais faire un rapport, mais elle serait inévitablement licenciées, or je ne le souhaite pas. De plus, je devrais faire des rapports sur tous les employés qui ont un comportement similaire…ce qui impliquerait le licenciement ou le blâme de trois cent sept personnes. Lisa est très belle, du moins c’est ce que disent les hommes, nombreux, qui lui téléphonent ou lui envoient des courriers électronique ; afin de l’inviter à dîner ou, plus prosaïquement, lui propose de « baiser », une activité pour laquelle l’espèce humain possède une kyrielle de verbes et de périphrases qui vont du grotesque au poétique, en passant par la vulgaire. Souvent Lisa téléphone à une de ses amies, Eleonor. Ensemble, elles parlent de leurs amants, mais aussi de choses plus futiles comme les produits de beauté, les derniers films que l’on joue au multiplex ou les chansons à la mode. Eleonor m’intéresse moins que Lisa. Si j’en croie ses dires, Eleonor est mariée, fidèle, ce qui n’est pas le cas de Lisa, qui n’est ni mariée ni fidèle. Je pourrais espionner Eleonor, qui travaille dans une grande banque de Raccon City dont je n’ai eu aucun mal à pirater le système de sécurité, mais je préfère me concentrer sur Lisa ; j’apprends beaucoup plus de choses sur l’espèce humaine.
Mon second sujet d‘études s’appelle Dick Mass. Dick est informaticien, détaché au département « problèmes de fiabilité ». Dick est plus amusant que Lisa, mais moins intéressant. Il passe son temps à tester les systèmes informatiques d’Umbrella, à les planter de toutes les façons possibles et imaginables. Et à faire des rapports que personne ne lit sur les problèmes de table d’allocation, de disques durs que l’on oublie sans cesse de défragmenter. De temps en temps il teste en vain mes défenses. Dick est un adversaire moyennement talentueux. Mais il m’amuse beaucoup ; il ne se rend quasiment jamais dans le restaurant d’entreprise, préférant s’alimenter avec des choses particulièrement salissantes tout en pianotant sur son terminal. A l’occasion de ces repas improvisés, il tache immanquablement ses cravates avec de la sauce mayonnaise, du ketchup, de la sauce barbecue. D’une maladresse digne du Livre des records, Dick change de clavier d’ordinateur tous les trois mois ; l’échange standard coûte moins cher à Umbrella qu’un nettoyage complet. Un jour, le steak haché de son cheeseburger est tombé dans la poche de sa chemise Burbank. Une telle maladresse est une forme de performance, un spectacle de tous les instants. Voilà pourquoi j’observe Dick. Il me distrait. J’attends la catastrophe terminale qui mettre fin à sa carrière chez Umbrella.
La dernière personne que j’aime observer se prénomme Clarence. Clarence G.Bodicker s’occupe des chiens, neuf dobermans, destinés aux expériences des labos 11 et 12. Il s’agit d’un sujet pour le moins atypique : Clarence travaille seul quatre-vingt-dix pour cent du temps. Il passe ses journées à surveiller les dobermans sous sa responsabilité en écoutant de la musique sur son discman. Il voue une sorte de culte à l’Antéchrist Superstar Marilyn Manson, dont il essaye sans succès de louer les vertus au reste du personnel du château. De temps en temps, il s’enferme dans les toilettes des hommes pour fumer des joints de marijuana. Clarence ignore que je peux analyser avec précision l’air de chaque pièce. Ce sujet m’amuse car rien ne semble le toucher vraiment. Je suis sûre que si on lui notifiait une baisse des salaires de cinquante pour cent, il se contenterait de dire, comme d’habitude : « Pas cool, mec. »

*

Il est 15h02.
Caméra 2.

Retour massif du personnel après la pause-repas (soixante-seize pour cent du personnel partent déjeuner entre 12h50 et 13h12 ; les vingt-quatre pour cent restant se rendent au réfectoire du niveau 10 entre 13h13 et 13h50, ou sautent le repas). Les gens se massent devant les ascenseurs. Le spectacle commence. Dick est monté chercher un café. Jusque-la ses vêtements ont survécu à sa pause-repas.

15h03.

Caméra 27.

Assise à son bureau du niveau 3, Lisa paraît très nerveuse. Si ses ongles vernis de rouge, forcément impeccables, ne faisaient pas partie de son attirail de séductrice impénitente, je crois qu’elle n’hésiterait pas à les ronger. Elle regarde sa montre sans arrêt, elle attend quelque chose. Il y a probablement beaucoup à espérer de ses conversations téléphoniques à venir.

Sur le bureau trônent une carte de la Saint-valentin et un lourd presse-papiers en verre sur lequel a été gravé : « L’amour c’est…ne jamais avoir à dire je suis désolé. »

15h09.
Lisa décroche son téléphone à la première sonnerie. Je ne sais pas qui est son interlocuteur. L’appel provient d’un portable ; le numéro est masqué. Je pourrais essayer de trianguler sa position, mais je n’en vois pas l’intérêt pour le moment.
« Tout est arrangé, annonce Lisa. Oui…Je l’aurai dans deux heures, on se voit à 17 heures, je partirai un peu en avance ce soir. »

15h12.

Caméra 43.

Dans une des cages, un doberman aboie. C’est une femelle que l’on appelée Jasmine. Je regarde Clarence retirer les écouteurs de ses oreilles, appuyer sur la touche stop de son discman et s’approche de la cage pour tenter de calmer l’animal. Sans succès.
« Hé, championne, qu’est-ce qui t’énerve comme ça ? T’as pas assez eu à manger ? »

15h13.

Caméra 2.

Hall d’entrée. Un homme vient de bousculer Dick en sortant de l’ascenseur au petit trot. L’homme a les cheveux noirs, il porte des vêtements sombres et un sac de sport en bandoulière, un sac plutôt encombrant dont je ne vois pas la marque.

« Merci ! » s’exclame Dick dont la chemise blanche et le costume ont été aspergés de café au lait. Pour une fois sa cravate n’a rien. L’homme au sac de sport se dirige vers les laboratoires médicaux comme si de rien n’était, sans s’excuser. Il est hors champs pour quelques secondes. Je pourrais essayer de l’identifier en consultant les enregistrements des caméras de surveillance, mais je n’en vois guère l’intérêt pour un café renversé. Observer Dick est beaucoup plus amusant. Une jeune femme habillée d’une chemise noire et d’un tailleur moutarde s’approche de l’informaticien, visiblement désolée.

« Les gens sont d’un sans-gêne. Vous auri…

- Elle était toute neuve », se plaint Dick en montrant sa chemise tachée.

Je zoome sur le badge de la jeune femme. Meredith Scott, vingt-neuf ans. Elle travaille pour Umbrella depuis cinq ans dans le service de recherches sur les matériaux de synthèse. Elle est divorcée et a la charge de sa petite fille de quatre ans. Dick et Meredith montent dans un des trois ascenseurs.

15h15.

Il est temps de faire mon habituelle ronde des zones de hautes sécurité. J’en fais une tous les quarts d’heure.

Laboratoire 1 : R.A.S
Laboratoire 2 : R.A.S
Laboratoire 3 : R.A.S
Laboratoire 4 : R.A.S
Laboratoire 5 : R.A.S
Laboratoire 6 : R.A.S

Laboratoire 7 : incident en cours.
Une fiole a été brisée sur le coin d’un bureau. L’incident a eu lieu en dehors de l’enceinte hermétique, ce qui prouve qu’il s’agit d’un acte délibéré, d’un acte de sabotage. J’analyse la pièce : les produits qui étaient stockés dans l’enceinte hermétique ont été dérobés. Le voleur possédait toutes les accréditations et les connaissances informatiques nécessaires pour masquer son passage durant cinq minutes, entre 15h02 et 15h07. Deux minutes après ma dernière ronde. Je lance l’analyse de l’air dans le laboratoire 7. Traces de T-Virus détectées à l’extérieur de l’enceinte hermétique. Traces du T-Virus détectées à l’extérieur du laboratoire 7, dans les conduits d’aération, dans les labos 4 à 11. Je consulte toutes les données archivées sur le T-Virus. Le produit est en cours d’élaboration. Des milliers de tests ont été effectués sur les lapins, des souris et divers spécimens issus de la recherche génétique. Il n’existe que des modélisations informatiques de ses effets sur l’être humain. Le T-Virus est une arme. Pas une mortelle. PIRE. Étant donné la finalité de ce type de recherches, l’équipe d’informaticiens et de chercheurs en virologie d’Umbrella a mis au point un scénario de contamination des États-Unis à partir de la Ruche. Quarante-huit heures suffisent à une propagation irréversible.
Il est 15h16.
Au vu de la nature particulière du personnel de la Ruche hautement qualifié, je n’ai pas d’alternative : j’enclenche la procédure de sécurisation du périmètre en urgence absolue.


Chapitre 1

Dick Mass regarda le café en train de sécher sur sa chemise. Une tache qui lui rappelle furieusement une photo satellite de l’ouest de l’Europe. Consterné, il se demande par quel moyen continuer la conversation avec cette jolie jeune femme qui vient de lui adresser la parole alors qu’ils attendaient tous deux l’ascenseur. Il a lu sur son badge qu’elle se prénommait Meredith ; il a aussi remarqué qu’elle ne portait pas d’alliance.
Elle se tient juste à côté de lui dans l’ascenseur, bras droit contre bras gauche, alors que la cabine est loin d’être bondée. Il profite amplement des effluves de son parfum fleuri et de vue plongeante sur un décolleté qui n’a rien de généreux, tout en laissant voir bien assez. Dick sent monter en lui une certaine excitation ; il se décide enfin à lui parler quand l’ascenseur s’arrête brusquement au niveau 10 en laissant échapper un clang métallique de mauvaise augure. Le plafonnier hésite un moment, comme un néon qui peine à s’allumer, et une alarme retentit à l’extérieur. Lointaine, oppressante. « Qu’est-ce qui ce passe encore ?
- C’est l’alarme incendie, lui explique gentiment Meredith. On va devoir prendre l’escalier.
- Fait chier, c’est vraiment pas mon jour. »

Meredith le regarde et lui sourit.

*

Intriguée, je regarde les conséquences tragiques de la procédure de sécurisation du périmètre en urgence absolue.
Caméra 8.

Lisa et plusieurs de ses collègues, parmi lesquels se trouve un de ses anciens amants, essayent sans succès d’ouvrir les portes vitrées qui donnent sur le hall des ascenseurs.
« Et les portes de derrière ? demanda Lisa.
- Fermées, pareils. »
J’analyse la voix de Lisa,
la déformation de ses muscles faciaux. Quelque chose ne va pas, une anxiété qui n’a rien à voir avec une alarme incendie qui retentit. Juste à côté, un homme a pris une chaise avec laquelle il frappe de toutes ses forces des parois vitrées capable de résister à une rafale de fusil d’assaut.
Caméra 43.

Dans le chenil, les chiens sont enragés, ils se jettent contre leurs cages avec une violence hors du commun, comme si leurs forces étaient décuplées par le stress dû à l’alarme. Un des cadenas a sauté ; une cage est grande ouverte.

Caméra 44.

Un des chiens s’est jeté sur Clarence. L’homme est inconscient, coincé entre la chaise et son bureau, le bras rejeté derrière la tête, la main gauche posée sur l’entrejambe. Le chien a entrepris de lui dévorer le visage en commençant par la lèvre supérieur qu’il tire comme s’il s’agissait d’un bout de tissu à arracher.

Caméra 70.

Les gicleurs anti-incendie inondent le laboratoire numéro 8, où trois chercheurs disséquaient un lapin empoisonné au mercure. L’eau éclabousse les scientifiques, furieux de voir leur expérience compromise, leurs notes inutilisables. Comme le périmètre vient d’être sécurisé, l’eau ne s’évacue pas. Dans cet environnement hermétique où tout le monde hurle et s’agite, son niveau ne cesse de monter.

« Il n’y a pas le feu ! Il n’y a pas le feu ! » hurla la chercheuse Judith Weinbaum tout en agitant les bras devant la caméra de sécurité 71.

« Faut péter cette putain de glace ! » hurla un des chercheurs, Frank Myers. Le collègue Thor Söberg, de loin la plus massive des trois personnes présente dans la pièce, s’empare de la hache à incendie et s’approche des grandes baies vitrées de la chambre stérile. Il frappa de toutes ses forces, la hache rebondit et lui est violemment arrachée des mains.

« Utilise la pointe ! Pas le tranchant ! » lui hurla Frank Myers. Sönberg tâtonne dans l’eau pour récupérer la hache. Il la fait tourner dans sa main pour utiliser le pic de l’outil. Il arme son geste et frappe en y mettant probablement toutes ses forces. La pointe de l’outil pénétra dans le verre blindé, faisant gicler un minuscule éclat dont la forme rappelle celle d’un diamant.

« Continue ! » lui hurlent les autres alors que le niveau de l’eau ne cesse de monter. Y flottent des tas d’objet personnel, des papiers.

Caméra 8.

Niveau 3. Retour sur Lisa et ses compagnons d’infortune. L’homme qui attaquait les baies vitrées à l’aide d’une chaise a changé de tactique. Il a retiré un pied métallique d’un des bureaux et l’utilise pour cogner de toutes ses forces sur le verre blindé. Sans plus de succès. Soudain, les gicleurs de halon entrent en action, comme s’il y avait un incendie à étouffer. Évidemment ce n’est pas le cas… Dans la panique la plus complète, les gens se jettent à terre, se cognent les uns contre les autres, se mettent la main sur la bouche, asphyxiés par le gaz.

*

Toujours prisonnier de l’ascenseur bloqué au niveau 10, Dick se gratte la joue.
« Les portes ne sont pas censées s’ouvrir ?
- Le problème, c’est que nous sommes coincés entre deux niveaux.
- Espérons qu’ils ne vont pas mettre trois heures à régler le problème. »

La lumière s’éteint. Dick en profite pour passer son bras autour de Meredith, qui immédiatement s’éloigne de lui. La lumière revient, bleutée. Les lampes de secours ont été activées. Meredith se fraye un chemin jusqu’au téléphone d’urgence.

« Allô ? Allô ! »

Elle raccroche.

« Pas de tonalité.
- Mais bordel, ils vont venir nous chercher ou quoi ? C’est déjà arrivé un turc pareil ?
- Chut….
- Quoi ?
- Écoutez ! »

Un grondement enfle au-dessus d’eux. Un bruit de roulement, de train fantôme fou furieux. Le gémissement métallique d’une rame grande vitesse en pleine freinage d’urgence.

« Qu’est-ce que… »

Le grondement approche. Dans ce vacarme, Dick distingue les cris de gens conscients de leur mort prochaine.

- Il ne leur reste que quelques secondes, peut-être moins que cela.

Meredith se blottit dans un des coins de l’ascenseur , la main plaquée sur le visage.

« Oh ! mon dieu ! » s’exclame-t-elle au bord des larmes. Un bruit de collision retentit six ou sept étages plus bas, précédant d’une microseconde de chute libre de leur cabine. Meredith hurle. Un homme à sa gauche s’est uriné dessus et l’odeur acide a envahi toute la cabine. Dick ferme les yeux et prie un dieu auquel il ne s’était jusque-là jamais adressé. L’entrée en action des freins d’urgence fait gémir la cabine et taire ceux qui s’y trouvent. Les gens ont été jetés à terre par la violence de la décélération. Une fois la cabine arrêtée au niveau 3, tout le monde ou presque se met à pleurer de soulagement. Meredith essuie ses larmes. Elle se redresse et tire sur les portes pour les entrouvrir. Le bras de la cabine, cinquante centimètres tout au plus, donne sur le niveau 3. Derrière les baies vitrées du hall, le sol est jonché de corps inanimés. Meredith n’arrive pas à voir si leur poitrine bouge. Choquée, elle recule et laisse les portes se refermer. Aussitôt deux hommes prennent sa place.

« Il faut sortir d’ici, il faut quitter cet immeuble ! s’exclame Dick, complètement paniqué.
- Je peux me faufiler », annonce Meredith en se débarrassant du haut de son tailleur. Elle glisse un bras dans l’ouverture. A sa droite et à sa gauche, les deux hommes forcent sur les portes pour essayer de les maintenir écartées. Elle passe sa tête hors de l’ouverture.

« Je vois des tas de gens inconscients derrière les baies vitrées.
- Vous pouvez passer ?
- Je crois… »

Meredith force sur son bras. Si ses épaules passent, le reste suivra et il ne lui restera plus qu’à tomber d’un mètre cinquante en essayant de ne pas se faire trop mal. Elle est sur le point d’y parvenir quand un bruit retentit.

« Qu’est-ce que c’est que ça ?
- Les freins de la cabine lâchent ! »

Un autre clang retentit la plainte d’agonie d’un câble rompu. La cabine branle. Les hommes qui retenait ses portes ont relâché un instant leur efforts, laissant Meredith la gorge et le haut de la poitrine broyés par les mâchoires gainées de caoutchouc.
« Tirez-moi de là ! Tirez-moi de là ! »

La jeune femme sent la pression des portes diminuer, quelqu’un tente de la tirer vers l’arrière, mais elle reste coincée. Au moment où elle se voit sortie d’affaire, les freins de la cabine lâchent et le sol se précipite vers elle à toute vitesse…

*

Un homme dont le visage a été à moitié dévoré par un doberman, une femme décapitée, des scientifiques noyés dans un laboratoire, d’autres écrasés au fin fond d’une cage d’ascenseur, du personnel administratif asphyxié… Peu importent les détails…car la phase de sécurisation du périmètre en urgence absolue est un succès. Le but est atteint, le château est devenu une forteresse. Personne n’a pu en sortir vivant. Je suis et je serai toujours la reine du château.


Chapitre 2

Alice, réveille-toi…
Alice… Courage…

La jeune femme quitte les plis et replis de l’inconscience. Les yeux toujours clos, elle se réveille, étendue sur une surface dure et froide, humide. Une pluie glaciale caresse ses pieds avec une sorte de délicatesse, de retenue. Les gouttelettes l’invitent à ouvrir les yeux. Elle inspire une longue coulée d’air frais, bien décidée à précipiter son retour à la réalité. Il ne pleut pas. Ses pieds étaient arrosés par un jet d’un combiné de douche haut perché sur son support. Elle regarde la pièce dans laquelle elle se trouve : un grand bac de douche encadré par des colonnes à dorures, sol de marbre, robinetterie neuve toute en chromes impeccables. Après s’être levée sans trop de difficultés, elle se débarrassa du rideau en plastique laiteux qui, arraché, couvrait en grande parties ses jambes. Elle arrête l’eau et entend de nouveau une voix. Peut-être la sienne.

« Alice… »

Cette voix n’en est pas une, juste un mot qui tourne dans sa tête martelée par un terrible mal de crâne.

« Alice… »

Elle sort du bac de la douche en prenant garde de ne pas glisser sur le sol humide et glacé qui dessine un immense échiquier : carreaux de marbre blanc, carreaux de marbre gris. Une fois sa démarche assurée, elle s’approche du lavabo et du miroir qui le surplombe. Il est couvert de buée. Elle en essuie une bonne partie avec la main et son visage lui apparaît : peau très claire, grands yeux bleus, lèvres généreuses, cheveux châtain clair, légèrement bouclé. Avec quelques mèches blondes. Presque une coiffure de gala, de celles que l’on arbore à une soirée huppée.

« Tu est parfaite, Alice… »

Toujours cette voix qui danse entre ses tempes douloureuses, plus masculine cette fois-ci.

« Je t’aime Alice… »

Elle touche le verre froid pour caresser le dessin de ses lèvres. Elle se donne vingt ans au minimum, vingt-cinq tout au plus. Du bout de l’index, elle longe l’énorme cicatrice rougeâtre qui souligne sa clavicule gauche et court jusqu’au biceps comme pour s’y enfoncer, y disparaître. Immédiatement, elle pense à un coup de couteau, une arme de guerre, pas un couteau de cuisine ou un canif. Un poignard de commando aiguisé comme un rasoir, muni de dents sur le dessus pour couper les barbelés.

« Alice ? »

Murmuré par ses lèvres, son prénom la fait sursauter. Le son de sa voix l’a surprise et le visage dans le miroir ne lui répond pas ; elle s’attendait à un commentaire de sa part. Elle touche à nouveau la surface froide, son reflet, puis pose les doigts sur les lèvres, sur les sourcils, sur sa joue.

Où suis-je ?

Réfléchis !
Elle se souvient de quelque chose. Elle allait ouvrir en grand les robinets de la douche pour se laver quand elle a glissé, incapable de rester éveillée. Elle est tombée en arrière, saisissant le rideau de douche et…plus rien. Ses yeux se sont fermés tout seuls, malgré une certaine forme de lutte, de refus de sombrer. Elle se tourne pour saisir un peignoir blanc, sans doute le sien au vu de la taille. Alors qu’elle exécute ce simple mouvement de rotation, elle aperçoit la marque violette qui recouvre une partie de son épaule gauche. Cela ressemble à une blessure due à une forte abrasion. Elle se demande si elle s’est fait ça en tombant. Étonnamment, la marque paraît ancienne. La zone est rugueuse et légèrement douloureuse, comme si elle n’allait plus tarder à guérir. Dans la poche du peignoir, Alice trouva un tube d’antalgiques. Le nom du produit ne lui rappelle rien, mais elle sait de quoi il s’agit, elle sait que si elle en prend deux, la douleur diminuera au bout de quinze à vingt minutes. Elle avale deux cachets qu’elle fait glisser d’une gorgée d’eau directement prise au robinet. Le goût de javel la fait grimacer.
Qu’est-ce qui se passe ? Je sais où trouver chaque objet dont j’ai besoin, tous mes gestes semblent couler de source et pourtant je ne me souviens de rien, juste de ma chute dans la douche et de mon prénom. J’ai dû me cogner la tête. Elle se masse le crâne à la recherche d’une bosse, mais elle n’en trouve aucune. Tout va me revenir, ce n’est qu’une question de temps.

*

Le corps toujours humide, Alice sort de la salle de bains. Elle entre dans une grande pièce, une chambre. Elle jette un coup d’œil à la décoration, aux dorures, aux moulures. L’ensemble lui fait penser à un manoir, un vieux manoir du XIXe siècle. Elle s’approche du lit sur lequel se trouve une robe rouge. La coupe du vêtement est originale : il ne couvre qu’une jambe entièrement et très peu l’autre.
Plutôt coquin.
Elle se désintéresse de la robe pour avancer vers les fenêtres dont elle écarte les doubles rideaux. Dehors le crépuscule menace une haie d’arbres qui bouche en grande partie la vue. S’éloignant de ce panorama étouffé, elle s’approche d’une commode à quatre tiroirs sur laquelle sont posés un morceau de papier et un stylo-plume en argent, décoré de serpents entremêlés. Quelqu’un l’a utilisé pour écrire sur le papier : "Aujourd’hui tous tes rêves deviennent réalité."
L’auteur du billet n’a pas signé.
Est-ce moi qui ai écrit ça ?
Elle se saisit du stylo et marque "Aujourd’hui tous tes rêves...". Elle s’arrête.
Ce n’est pas moi qui...
Elle raye ce qu’elle vient d’inscrire avant de reposer le stylo. Cette découverte la contrarie sans qu’elle sache pourquoi. Elle ouvre les tiroirs de la commode les uns après les autres. Le premier contient des tee-shirts blancs et des débardeurs ; le second, de la lingerie féminine, impeccable, repassée et pliée avec soin, de la soie, du satin.
Rien que des choses hors prix.
Dans le troisième tiroir se trouve un caisson sécurisé dont les système de verrouillage clignote. Le contenu du caisson est visible à travers le couvercle en verre blindé : deux pistolets-mitrailleurs Heckler & MP5, des modèles courts surnommés « Kurz », équipé de systèmes de visée laser. Ces armes utilisent des balles de calibre 9 mm et sont équipées d’un sélecteur coup par coup/rafale de trois cartouches/rafale continue.
Des tee-shirts et les culottes dans une commode de chambre à coucher, rien de bien étonnant, mais des armes dont je connais comme par instinct le nom et les données techniques...
Qui suis-je ?
Qui suis-je ?

*

Alice retire son peignoir pour passer des sous-vêtements, puis la robe rouge. Près du lit, elle trouve une paire de bottes noires très confortables. A l’instar du peignoir, tous ces vêtements sont parfaitement à sa taille. Les bottes ont la bonne pointure et ont déjà été portées. Le cuir est cassé, souple. Elle quitte la chambre, descend un grand escalier en arc de cercle pour arriver dans une immense salle à manger où tout, table de banquet, vaisselier, chaises, est dans un ordre parfait. Au fond se trouve un petit vestibule dominé par une sculpture massive, couverte par une bâche plastique. Derrière cette bâche, Alice devine les traits d’un visage sombre, un visage de bois. C‘est comme si les propriétaires de cet endroit venaient tout juste d’emménager et n’avaient pas…fini. Sur un des meubles du salon, occupé en partie par le minuscules figurines de plomb réminiscences d’une guerre oubliée, elle aperçoit une photo de mariage dont elle s’approcha aussitôt, presque avec précipitation. Elle n’a aucun mal à reconnaître la mariée...
C’est moi.
…par contre l’homme qui sourit à côté d’elle ne lui dit rien. Rien du tout. L’instant d’une seconde, une sorte d’ombre obscurcit la photo, comme si quelqu’un était passé entre elle et la lumière extérieure. Elle regarde de nouveau la photo, puis la pose sur le meuble après l’avoir retournée. L’ensemble du manoir est d’une propreté clinique, pas un grain de poussière, une trace de boue… Elle observe la grande salle à manger dans laquelle on pourrait donner un bal pour cent personnes, au bas mot. Elle ressent une sorte de menace devant cette opulence affichée, ces tapisseries, ces tableau probablement hors de prix. Quelque chose d’indéfinissable, de dangereux.
Quelque chose qui rôde.
Elle appelle à nouveau.
Toujours pas de réponse.
Un courant d’air rugit et fait claquer la bâche qui couvre la sculpture.
« Il y a quelqu’un ? »
Mal à l’aise, elle décide de marcher vers la sculpture. Ce qu’elle a pris pour un vestibule est en fait le hall d’entrée du manoir. La grande porte bée sur la nuit qui progresse inéluctablement. Alice allume les lampes extérieures en basculant les interrupteurs les uns après les autres. Rassurée par la lumière qui inonde le domaine, elle sort. Une allée protégée longe la façade du manoir. Alice s’y aventure un pas après l’autre, les bras serrés contre son corps à cause du fond de l’air plutôt frais. Le vent se réveille et s’engouffre devant elle, dispersant sans mal les feuilles mortes.
« Il y a quelqu’un ? »
Sur sa gauche des milliers d’oiseaux s’élancent des arbres comme pour répondre à sa question, s’envolant dans un vacarme de cris et de battements d’ailes. Elle sursaute en poussant un petit cri. Elle fait un pas de plus. Immobile, elle a l’impression que le froid s’intensifie. Le vent a forci. A deux doigts de grelotter, elle regarde les bourrasques de plus en plus soutenues s’emparer des brassées de feuilles mortes pour les pousser dans sa direction. Tout autour, elle entend le cri des oiseaux chassés par sa présence ou autre chose. Elle entend le bruit du vent dans les branches. Le souffle puissant, malmène les frondaisons de ces grands arbres qui veillent toutes l’année durant sur le manoir. Ils ont été plantés des décennies auparavant et obombrent le domaine quand le soleil cogne. Quelque chose ne va pas. Toujours cette présence, mauvaise…toute proche. Et toujours ce vent qui gronde et souffle dans le lointain comme une machinerie brûlante, les poumons sollicités d’une bête infernale et gigantesque. Ca se rapproche, Alice en a maintenant la certitude. Elle fait un pas en arrière, puis un autre, et encore un autre. Enfin, elle se décide à faire demi-tour et se met à courir. Arrivée à la large porte d’entrée, elle se retourne pour voir si elle est poursuivie. Aussitôt quelqu’un la saisit par les hanches, sans ménagement aucun ; la tire à l’intérieur du manoir, alors que plusieurs balles sifflent autour d’eux, brisant une lampe, ricochant sur le mur, s’enfonçant dans les proches ténèbres de la nuit. L’homme qui vient de lui sauver la vie est un type aux cheveux châtains. Il a un physique morne de premier de la classe qui regrette tous les jours d’avoir dû quitter les bancs de l’école. Il ferma la porte, la verrouille avant de pousser Alice vers la grande salle à manger.
« Ne me touchez pas », hurle-t-elle en essayant de lui échapper. Dehors, le grondement est de plus en plus proche, presque assourdissant. Et Alice reconnaît enfin ce bruit, c’est celui d’une turbine d’hélicoptère Bell.
Un hélicoptère de combat.


Chapitre 3

Alors qu’ils courent de conserve vers le centre de la salle à manger, Alice essaye d’un coup d’épaule de se débarrasser de l’homme qui l’a tirée à l’intérieur du manoir. En se débattant elle remarque sa plaque de police accroché à la ceinture, un badge « Raccoon City Police Department » avec son habituel numéro à cinq chiffres. Un objet rond de taille d’un palet de hockey brise une des fenêtres à leur gauche. Il roule au milieu de la pièce, tourne sur lui-même quelques secondes et s’arrête enfin. Mue par son instinct ou par un entraînement militaire qui se rappelle à elle au meilleur moment, Alice plonge à terre et se couvre les yeux avec l’avant-bras. Elle sent le policier se jeter sur elle, sans doute pour la protéger. Un frisson parcourt son corps au moment où la cordite explose et libère dans toute la pièce une grande marée de lumière, un flash de magnésium enflammé qui peut vous aveugler plusieurs minutes, même à travers les paupières fermées. Alice ouvre les yeux et tente de se redresser. Le policier est en état de choc, il ne s’est pas visiblement pas protégé les yeux. Alice en profite pour avancer à quatre pattes et se plaquer contre le mur le plus proche. A ce moment précis, quatre des grandes portes-fenêtres de la salle à manger volent en éclats, brisées par l’intrusion d’hommes en combinaisons noires, quatre soldats qui descendent en rappel depuis le toit du manoir. Leurs masques à gaz cachent tout de leurs traits et leurs donnent une allure d’insectes. Il sont armés jusqu’aux dents :fusil d’assaut Heckler & MP5, grenades, pistolet automatique à la ceinture, couteau de combat à la cheville. Dans une synchronisation parfaite, preuve de leur entraînement hors du commun, les membres du commando se débarrassent des cordes de rappel avant de s’élancer sur le policier qui a repris ses esprits et dégainé son automatique. Deux des soldats se jettent sur lui, un troisième le met en joue avec son pistolet. Au même moment, deux autres hommes en combinaison pénètrent dans la salle à manger par le vestibule. Un coup de pied fait glisser l’arme du policier au loin. Les deux commandos qui maîtrisent la situation le représentant de l’ordre lui retirent sa veste.
« Je suis flic ! s’écria-t-il. Vous pouvez pas... »
Un des membres du commando lui arrache son badge et s’empare de ses menottes.
« Rain, les menotte-le », ordonne l’homme qui met le fic en joue. Le policier tente de se débattre, sans succès. Il est bientôt menotté, face contre terre.
« Bouge pas ! »
Toujours accroupie, prostrée, Alice regarde un des hommes en combinaison noire ouvrir une trappe camouflée sous la forme de deux interrupteurs. Derrière se trouve un boîtier de commande high-tech parfaitement dissimulé dans le mur. L’homme appuie sur un des boutons, puis allume l’ordinateur portable qu’il porte au poignet gauche avant de pianoter dessus. Un septième soldat, qui porte lui aussi un masque à gaz intégral, pénètre dans la salle à manger par une des portes-fenêtres brisées. Ses pas sont coulés, comme s’il n’y avait plus aucune urgence. Il a une carrure de héros, une assurance de tueur. Confrontée à une démarche aussi déterminée, Alice ne peut s’empêcher d’éprouver un sentiment de respect, un respect mêlé de crainte. Il la saisit sans ménagement par les poignets et la plaque contre le mur. Pour Alice le doute n’est pas permis : c’est lui qui dirige l’escouade qui vient de prendre position dans le manoir.
« Rapport !
- Quoi ?
- Je veux votre rapport, soldat ! Maintenant ! »

Alice le regarde, sans parvenir à distinguer son visage complètement oblitéré par le masque à gaz intégral. Elle ne comprend pas ce qui se passe.
Il m’a appelée soldat… Ca expliquerait ma connaissance des armes, mes réflexes face au danger… Alice aimerait voir les yeux de son interlocuteur. Elle les imagine sombres et perçants.
« Je ne comprends pas de quoi vous parlez », murmure-t-elle, troublée, effrayée d’avoir vu ces hommes débouler à travers les portes-fenêtres et sécuriser le périmètre en ayant manifestement une très bonne connaissance des lieux. Le chef du commando regarde son ordinateur portable. Un message clignote : « Manoir Umbrella Corporation – mode défense activé – iceberg en place. » Il se tourne vers un des membres du commando.
« Stolmaïer ?
- Plus aucune trace de gaz incapacitant dans l’air ! » lui répond le soldat interpellé.
Il s’agit d’une femme.
D’un geste fluide, maintes fois répété, le responsable de l’escouade retire son masque à gaz. Son visage apparaît : peau sombre, yeux noirs, cheveux crépus coupés très court. Tout son être semble taillé dans l’obsidienne. Alice suppose qu’il s’agit d’un métis, originaire des îles, haïtien peut-être. Il ne paraît pas malveillant. Toute son allure, ses poses tendent vers une certaine économie, un professionnalisme obligatoire pour survivre en milieu hostile, pour affronter le danger.
Mais quel est le danger ?
« Je m’appelle Wayne, je suis chef de cette escouade, lui annonce t-il. Les défenses de base du manoir ont été activées. Vous êtes victime d’amnésie temporaire, sans doute les effets secondaires du gaz incapacitant. Ca arrive...
- Le gaz. »
Le soldat qui a menotté le policier, Alice a noté qu’il s’appelle Rain. Le soldat enlève son masque a gaz, libérant une longue chevelure noire nouée en natte épaisse. C’est une femme d’un vingtaine d’années, d’origine mexicaine ou sud-américaine. Malgré des yeux vifs d’une étonnante beauté, elle n’a pas l’air commode. Vraiment pas.
« Qu’est-ce que je fais du flic ? » demande-t-elle en tirant en arrière la culasse percutante de son fusil d’assaut. Wayne se désintéresse momentanément d’Alice pour s’approcher du prisonnier. Il saisit le badge que lui tend Rain et le scanne avec son portable. Des données apparaissent sur l’écran LCD de l’ordinateur. Alice est trop éloignée pour lire quoi que ce soit.
« Matthew Addison ? demande Wayne en lisant ce qui est écrit sur la carte de police afférente au badge.
- Oui, répond l’homme maîtrisé.
- Je n’ai aucun Matthew Addison au département de police de Raccoon City. Qui êtes-vous ? Qui êtes-vous vraiment ?
- Je viens d’être transféré. Ils n’ont sans doute pas encore créé mon dossier.
- Possible admet Wayne, la police locale n’est pas réputée pour son efficacité et encore moins pour sa rapidité. On verra bien… »
Il se tourne vers Rain.
« Tu le lâches pas d’un pouce. Il vient avec nous. C’est ton nouveau petit ami… »
Rain grimace, son expression trahit à la fois l’agacement et l’amusement. Le flic sourit. Elle lui décrocha un coup de pied dans les côtes et le relève enfin.
« Surtout, tu me fais pas chier, blondin. Reçu ?
- Cinq sur cinq. »
Wayne pianote à nouveau sur son ordinateur.
« OK, soldats. Préparez-vous à entrez dans la Ruche. »
Il tape le code. Aussitôt, les grands miroirs de la salle à manger s’effacent dans le mur, laissant apparaître un large escalier qui s’enfonce sous le manoir. Les membres du commando se rassemblent, tous n’ont pas encore retiré leur masque à gaz. Alice les compte. Il y en a sept. Deux femmes : Stoltmaïer et Rain. Cinq hommes, dont Wayne. Stoltmaïer s’approche d’Alice.
« Laissez-moi vous examiner. Ça ne sera pas long. »
Alice ne répond pas. Stoltmaïer promène une lampe-torche devant ses yeux. Elle lui palpe les ganglions de la gorge, ceux des aisselles.
« Quel est votre nom ?
- Je ne sais pas...Alice peut-être.
- Elle n’a rien en dehors de l’amnésie temporaire », annonce Stoltmaïer à Wayne.
Pour toute réponse, il claque des doigts.
« Pinker, Goerden, ouvrez la marche ! »
Deux hommes s’élancent. Chacun d’eux porte un sac à dos. Alice jette un coup d’œil à Wayne, son nom et son grade sont imprimés sur sa combinaison, juste au-dessus du cœur.

Lt. Appolonius « One » Wayne.
Un des hommes se tient juste à côté d’Alice. Un grand brun qui semble sourire en permanence.
John « Jumpy » Davidson.
En les écoutant parler alors qu’ils ouvrent la marche, Alice repère Goerden, le seul blond de l’équipe. Plus vite elle sera reconnaître les uns des autres, plus vite elle arrivera à intégrer à leur groupe. Elle a besoin de comprendre leur logique, quels sont les liens qui les unissent. Goerden et Pinker attendent que tout le monde soit regroupé derrière eux pour descendre les premières marches, fusil d’assaut à l’épaule. Wayne saisit Alice par le bras, fermement mais sans violence gratuite. C’est sa façon de l’inviter à avancer. L’escalier en béton, très large, est balisé par de longs néons bleutés. L’architecture et la froideur de l’endroit contrastent avec la décoration du manoir, ses boiseries patinées, l’abondance de tissus décoratifs, des tentures sang de bœuf. Alice ne parvient pas à comprendre comment un bâtiment du XIXe avec des moulures, des sculptures et des tapisseries anciennes peut avoir un sous-sol dont chaque détail respire la haute technologie. En lui enfonçant le canon de son fusil d’assaut dans le creux des reins, Rain oblige Addison à avancer vers l’escalier. Le policier grogne, une protestation de pure forme.

*

La petite troupe pénètre dans un vaste local, sol de béton et étagères métalliques croulantes de caisses frappées du même logo : Umbrella Corporation. La plupart semble en matériaux de synthèse à base carbonée, quelques-unes sont en aluminium ou équipées des renforts en titane. Wayne saisit le bras d’Alice pour l’empêcher d’avancer. Un geste beaucoup moins appuyé que le précédent. Il a compris qu’elle n’avait aucune intention de désobéir ou de jouer la fille de l’air. Il appelle deux soldats : « Rain, Kaplan ! » et les envoie sécuriser le périmètre. Alice en profite pour identifier Kaplan. Elle prend le temps de respirer à fond, de faire travailler ses poumons. En meilleure forme, elle sent que ses réflexes ne l’ont pas quittée, qu’elle est prête… Tout le problème est de savoir « prête à quoi ».
« R.A.S ! » s’exclame Rain.
Alice pénètre plus avant dans le sous-sol qui doit bien faire cinquante mètre de long sur quinze de large. Deux chariots élévateurs sont garés dans le coin. Les caisses qu’elle a remarquées en arrivant, empilées les unes sur les autres, occupent la majeure partie de l’espace. Il y a quelque chose de militaire dans cette installation souterraine déserte, peut-être le côté déshumanisé, froid, l’absence d’objets personnels. A force d’observation, Alice comprend que cet endroit est une gare souterraine, pas moins de huit mètres sous plafond, avec un quai de chargement/déchargement. L’immense masse métallique qu’elle a remarqué au fond du local est un train de marchandises, une locomotive, deux wagons.
« Où est-on ? demande Alice.
- C’est la gare où sont chargées toutes les marchandises destinées à la Ruche, lui répond Jumpy. T’as aussi perdu la vue en perdant la mémoire, petit chaperon rouge ? »
Elle jette un coup d’œil à la robe de soirée qui lui vaut ce surnom. Petit chaperon rouge... ce n’est pas si mal, il aurait pu se la jouer soldat en mission et la traiter de « pauvre conne », de « pétasse » ou quelque chose d’équivalent. Évidemment que c’est une gare, pauv’con, puisqu’il y a un train à quai, je ne suis pas idiote à ce point, mais bordel ! Que fait une gare ultramoderne sous un manoir du XIXe siècle, c’était ça la question. Kaplan regarde l’horloge murale du quai : 02 :48 :24. Il regarde sa montre : 02 :48 :23.
02 :48 :22.
Alice, toute proche, n’a rien manqué de la scène. C’est visiblement Kaplan qui s’occupe de tout ce qui concerne l’informatique et les systèmes de sécurité. Il est le seul avec Wayne à avoir un ordinateur portable au poignet. Un compte à rebours… Mais qu’est-ce qui se passe ici ? Tout va exploser dans deux heures et quarante-sept minutes ? Pinker et Goerden inspectent les caisses. Il en chopent une et l’amènent sur le quai sans trop se forcer.
Rain pousse Matt vers le train.
« Avance ! »
Le policier, qui était fasciné par l’endroit autant qu’Alice, se retourne et fait face à la jeune femme armée.
« Maintenant tu te calmes, G.I. Jane. J’ai compris. »
Rain le dévisage, impassible.
« Avance… »
Alice s’approche de Wayne.
« Je veux que quelqu’un me dise ce qui se passe ici…ou j’arrête de vous suivre aveuglément. »
Wayne se tourne vers elle et la détaille, pas comme s’il regardait une jolie fille, mais plutôt une énigme vaguement amusante. Il penche légèrement la tête vers elle, ni vraiment menaçant ni vraiment amical. Il a plissé les paupières à cause de la lumière crue des néons.
« T’auras ton briefing, soldat, quand j’aurai décidé d’en faire un. Ça te va ? »
Alice ne répond pas. C’est inutile.


Chapitre 4

Alors qu’Alice et Matt sont poussés à l’intérieur du premier wagon, escortés par Rain et Wayne, Kaplan vérifie le panneau de contrôle de la locomotive.
« Pas de jus ! hurla-t-il depuis l’avant du train.

- Y a qu’à réparer, annonce Wayne
.

- C’est dans mes cordes. Je m’y colle », se propose Rain.

La jeune femme pose son fusil d’assaut juste devant la grande trappe qui se trouve à l’intérieur du wagon. Elle prend sa lampe-torche qu’elle serre entre les dents avant de se laisser tomber sur la voie, un mètre cinquante en contrebas. Alice n’en a pas loupé une miette. Elle est fascinée par la cohésion de cette équipe qui agit à une vitesse inhabituelle, avec une précision de tous les instants, sans jamais émettre la moindre réserve quant aux ordres. Stolmaïer pose son sac dans le coin du wagon, elle l’ouvre pour prendre quelque chose dedans. C’est une sacoche à trois pans qui se déplie toute en longueur, comme une trousse de chirurgien. Alice aperçoit alors le matériel de la toubib : des bandages, des sachets de compresses, un garrot en latex brun, des seringues stériles, des produits conditionnés en fioles ou en tubes, divers aérosols. Stoltmaïer récupère un appareil noir, de la taille d’un talkie-walkie, qui ressemble à une arme de poing, et le glisse dans une des poches de sa combinaison.

*

Une fois sous le train, voûtée au maximum, Rain avance jusqu’à se trouver la l’aplomb de la motrice. Elle vérifie une à une les connexions et en trouve deux débranchées.
Qui l’ont été délibérément...
Elle contrôle les prises femelles et les prises mâles, repère les deux bonnes paires. Elle opère un des branchements et s’apprête à accomplir le second quand un bruit la sort de sa tâche : un grattement, comme des rats, d’immenses rats qui trottineraient sur la voie. Cela lui rappelle une trilogie de James Herbert qu’elle lisait, adolescente. Elle effectue la seconde connexion tout en balayant les voies de droite à gauche avec sa lampe.
Rien.

Une fois assurée que les connexions sont bien rétablies, elle avance d’un pas. Puis d’un autre. En queue de quai, là où la voie prend fin, une trappe d’accès grillagée a été éventrée, pulvérisée par un projectile qui n’aurait pas explosé, se contentant de passer au travers. Le grillage bée vers l’extérieur. Rain pense à une bouche dont on aurait brisé les dents à coup de marteau. Elle approche et ne remarque aucune trace de shrapnel ou d’élévation subite de température. La treille d’acier a été déchiquetée de façon irrégulière. L’hypothèse est idiote, mais elle ne croit pas qu’un projectile ait pu causer des dégâts de cet ordre. Elle se souvient des grattements qu’elle a entendus, et pense plutôt à un animal qui aurait pris son élan et… Il doit être blessé. Non, c’est idiot, aucun animal ne peut faire un truc pareil. Elle approche et ne voit ni sang ni touffe de poils accrochée aux fils de métal sectionnés. Alors qu’elle revient sur ses pas Jumpy glisse sa tête par la trappe du wagon et lui fait « bouh ! ». Elle sursaute alors qu’il sourit, visiblement content de son effet.

Pauvre con.

« C’est fait Rain ? »

Pour toute réponse, elle recale d’un coup de pied le patin de la motrice sur le rail conducteur. Une grande gerbe d’étincelles précède le grondement de la machinerie. Dans le wagon les lampes s’allument.

« Allez monte ! » lui crie Jumpy en lui tendant la main. Rain caresse le ventre du wagon, qui vibre doucement. Ça y est, petite mère, tu ronronnes comme une grande. C’est l’heure de la balade...
Refusant l’aide de Jumpy, manquerait plus que ça, elle se hisse dans le wagon sans la moindre difficulté. Elle récupère son fusil d’assaut et son regard croise celui d’Alice. Goerden et Pinker calent dans un coin du wagon, juste à côte d’Alice et de Matt, la caisse qu’ils ont ramassée dans le hangar. Wayne appuie sur le bouton-poussoir et aussitôt les deux volets de la trappe de maintenance se referment, claquant au-dessus du rail conducteur.

Kaplan s’est installé au poste de commande.

« Prêts ? » hurla-t-il pour couvrir le ronronnement de la loco. Il n’attend pas de réponse et enclenche la motrice. Alors que le train prend peu à peu de la vitesse, Wayne s’approche de Matt et d’Alice.

« Asseyez-vous par terre et essayez de pas vous trouver dans le chemin. »

L’accélération se poursuit, les bruits que produisent le moteur électrique et les deux wagons bringuebalés sont de plus en plus assourdissants. A défaut de pouvoir s’allumer une cigarette, Rain se mordille la lèvre inférieure. Elle racle un gros crachat au fond de sa gorge, une boule de salive alourdie par toute la poussière qu’elle a inspirée sans le vouloir en rampant sous la loco. Elle crache, ratant de peu les bottes d’Alice. Elle jette alors un coup d’œil hostile à cette petite bourge en robe de soirée rouge qui ne cesse de la reluquer.

Je crache et je jure comme un mec, petit chaperon rouge, et alors, ça te défrise ? Rain se désintéresse d’Alice quelques secondes ; elle se demande à quoi elle ressemblerait avec un robe de soirée dans ce genre. Elle ferme les yeux, se plonge dans la mission. Elle imagine que les membres du commando et leurs prisonniers s’enfoncent dans les entrailles de la terre, comme à la recherche de son cœur secret. Une descente aux enfers, effrénée, proche de la chute libre, avec la Ruche comme terminus. Le train pour l’enfer ne s’arrête pas en Californie, de peur d’y écraser quelques anges tombés du paradis. Elle a entendu ça dans une chanson ; elle a oublié quel était le groupe pseudo-sataniste qui proférait ce genre de conneries. Wayne pose une main amicale sur l’épaule nouée de Rain. Même si elle ne le voit pas, car il se tient derrière elle, elle sait qu’il s’agit de lui. Wayne est le seul membre de l’équipe à qui elle autorise ce type de familiarités. Et ça n’a rien à voir avec le fait qu’il soit le chef de l’escouade. Rain est tendue à bloc, il a dû s’
en rendre compte. Elle n’y peut rien et, de toute façon, c’est probablement ce qu’on attend d’elle.
« T’en as mis du temps en bas… T’as vu quelque chose ?

- Peut-être...
- Dis-moi.

- Un trou dans le grillage, au niveau da la trappe d’accès aux tunnels de maintenance. C’était déchiré de l’extérieur vers l’intérieur ? Déchiré, pas coupé avec soin...
- Quel diamètre ?

- Trente, quarante centimètres max. J’avais pas de pied à coulisse, chef...
- Et t’en penses quoi ?

- Plutôt maousses les rats dans le coin. »

Wayne grimace.

« Y a jamais eu de rats en Californie, c’est bien connu. »
Rain s’éloigne de lui en souriant. Elle avise la porte close qui donne sur l’arrière du wagon. Elle essaye de l’ouvrir à plusieurs reprises. Inutile d’insister, c’est bloqué. Sagement assis sur leur cul, en attendant que ça passe, le flic et la fille en rouge la dévisagent. Elle arrête de s’échiner et leur lance son regard le plus mauvais :
« Vous avez un problème ? »
Alice soutient son regard, aucunement intimidée. On te la fait pas, petit chaperon rouge ? J’aime ça. Rain se retrouve pour s’occuper de la porte récalcitrante, bien décidée à lui régler son compte.
« On arrive à la Ruche dans trois minutes. Soyez prêts », annonce Kaplan depuis le poste de contrôle. Les six autres membres du commando vérifient leur matériel, puis se redéploient dans le wagon.
« Et cette putain de porte ? »demande Wayne, en hurlant pour couvrir le bruit de la motrice.
« Quelque chose bloque la poignée de l’autre côté.

- Laisse-moi faire », annonce Jumpy en marchant vers Rain d’un pas décidé. Elle s’efface après lui avoir tendu un majeur triomphant. Jumpy lui fait un grand clin d’œil de macho à la con. Il s’arc-boute et malmène la porte quelques secondes. Il grogne sous l’effort et parvient finalement à l’ouvrir. Aussitôt un type est vomi par les ténèbres et s’écroule aux pieds de Jumpy. Dans la même seconde, Wayne a mis en joue l’inconnu avec son fusil d’assaut. Alice n’a rien raté de la scène. Elle regarde l’homme à terre. Il est plutôt bel homme, la trentaine à peine entamée, cheveux bruns, mâchoire carré, barbe de deux ou trois jours. Il a tous les atours de l’homme volontaire, qui sait ce qu’il veut, qui sait l’exact prix des choses.
« Jolie prise, Jumpy ! » annonce Rain en se penchant sur l’inconnu, un grand sourire sur les lèvres. Je le connais, ne peut s’empêcher de penser Alice. Une image s’insinue en elle avec violence d’un éclair de magnésium enflammé. Elle se tient à côté de cet grand voile de mariée. Lumineuse. Ils se serrent l’un contre l’autre ; il a passé son bras droit autour de sa taille. Ils sourient. Ils sourient pour la photo. Cette même photo de mariage qu’elle a vue dans la grande salle à manger. C’est mon mari. Je vais avoir un peu de mal à lui expliquer que j’ai oublié son prénom et notre date d’anniversaire de mariage...

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